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des révolutions. Hâtons-nous de dire que ces conséquences énormes ne sont pas sorties pour tout le monde de ces prémisses. Des membres très-fidèles du clergé soutiennent, sans faiblir dans la foi, cette doctrine, qui semble au premier abord lui ôter quelque chose de son caractère surnaturel et, si j’ose ainsi parler, de sa divine originalité. Le père Ventura reprend ce thème de la perpétuité universelle des croyances chrétiennes avant le christianisme et en dehors du christianisme. Il cite en ce sens des paroles très-positives de Mgr le cardinal Gousset. On peut même dire que cette idée, qui longtemps n’avait été admise que renfermée dans des limites fort étroites, a rompu ses digues, et qu’acceptée sans réserve, elle est soutenue d’une manière absolue par de grandes autorités, unanimes à proclamer que tous les peuples, je me sers à dessein des expressions mêmes ; d’un prélat respecté, ont admis comme venant de Dieu les principales vérités de la religion, même celles de l’ordre surnaturel.

Dans la philosophie de M. de Lamennais, cette opinion était obligée. Il n’admettait comme signe de la vérité que le témoignage universel. Il était contraint à prétendre que tout le monde était catholique. Sa doctrine a été désavouée, tout au moins modifiée, par les écrivains de son école ; mais nous craignons qu’ils ne se paient de mots, s’ils croient l’avoir tout à fait renoncé. Il pourrait bien être le vieil homme qu’ils n’ont pas dépouillé, et j’en vois une forte et triste preuve dans le besoin qu’ils éprouvent tous qu’il n’y ait qu’une seule philosophie de vraie, le scepticisme. C’est un mauvais signe pour une doctrine que de commencer, avant de relever l’esprit humain, par exiger qu’il abdique.

Nous n’aurions pas, quant à nous, d’intérêt à contester cette identité des croyances religieuses de l’humanité, quoiqu’il nous semble qu’on l’exagère un peu. Nous souhaitons même que l’on prouve que cette identité est l’effet, le vestige, le reflet de la révélation dont l’Ancien Testament porte témoignage. Nous ne voyons pas que la religion ait beaucoup à gagner à ce que ce soit vrai, mais nous voyons encore moins que la philosophie ait rien à y perdre. Ici seulement nous demanderons au père Ventura s’il s’est bien rendu compte des motifs qui lui ont fait admettre la nécessité d’une révélation chrétienne universelle. Qu’il nous permette de le lui dire, il tombe à l’égard de la raison humaine dans l’hypothèse de la tabula rasa, qu’il reproche avec tant de fondement à Épicure et à toute l’école sensualiste. Que signifient en effet, hors de cette hypothèse, toutes ces attaques contre la raison inquisitive, contre la raison philosophique, contre la raison cherchant par elle-même la vérité ? Pour qui se comprend en parlant, cette entreprise de la raison ne peut être taxée d’absurdité, d’arrogance, de folie, que si l’on considère l’esprit humain