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les hommes. On s’efforçait de prouver qu’il n’avait rien ajouté d’essentiel aux croyances qui fortifient la raison et la vertu, et l’on ne manquait pas d’en conclure que tout l’excédant de la foi sur la philosophie était accessoire, superflu, on disait même alors chimérique, absurde, etc. On connaît tous ces adjectifs, les mêmes que la théologie rend aujourd’hui à la philosophie. Et les apologistes de la foi avaient grand soin de répondre que les analogies entre la religion et la morale révélées d’une part, et de l’autre la religion et la morale naturelles, étaient incomplètes, apparentes, exagérées à dessein, et que, bien loin que la raison humaine eût en tout temps conservé le dépôt de croyances identiques, le christianisme seul avait possédé le privilège incommunicable d’enseigner la vérité morale et la vérité religieuse. Ce n’était pas sur des accessoires, sur des détails qu’il avait innové ; c’était sur le fond même, c’était sur les principes, et ses dogmes n’étaient qu’à lui.

Peut-être est-ce un souvenir de notre éducation ; mais nous ne pouvons nous défendre de croire que cette dernière doctrine, même ainsi outrée, était plus conforme à l’esprit de l’église. Cependant depuis trente ou quarante ans une doctrine opposée s’est élevée et a, fini par triompher dans certaines écoles. Ce ne sont plus des incrédules, ce sont des orthodoxes qui ont entrepris de prouver qu’en tout temps le genre humain avait connu les articles essentiels de la foi chrétienne, que ces articles composaient ce qui avait été confessé pour vrai partout et toujours, et que non-seulement la vérité de ces croyances en avait fait l’universalité et la perpétuité, mais bien plus, qu’elles n’étaient vraies que parce qu’elles étaient universelles et perpétuelles. Nul à notre connaissance n’a établi cela d’une manière plus ingénieuse et plus forte, nul n’y a consacré les fruits d’une érudition plus heureuse dans le choix de ses preuves que M. l’abbé de Lamennais. On peut lire les deuxième, troisième et quatrième volumes de l’Essai sur l’Indifférence, on sera intéressé et surpris par la multitude de citations et de faits qu’il y a rassemblés ; mais, je l’avoue, on se demandera plus d’une fois où il en veut venir, et si c’est bien le christianisme qui doit sortir de cette apothéose de la science et de la croyance du genre humain. On sait en effet où l’éloquent apologiste en est venu. Je ne voudrais pas dire que c’est cette sorte d’argumentation qui l’y a conduit, cependant elle pouvait l’y conduire ; car ceux qu’elle persuade peuvent être facilement inclinés à penser que la prédication de l’Évangile n’a eu d’autre but et d’autre effet que de rendre plus nette, plus formelle dans son expression, surtout plus populaire et plus puissante, la croyance que le genre humain conservait sans l’Évangile, — et l’avènement du christianisme serait ainsi ramené aux proportions tout humaines de la plus heureuse