Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/834

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

science philosophique traite des choses en tant qu’elles sont connaissables par la lumière de la raison naturelle ; rien n’empêche qu’une autre science ne traite des mêmes choses, en tant qu’elles sont connues par la lumière de la révélation divine ; quoique cette théologie sacrée ne soit pas du même genre que la théologie qui fait partie de la philosophie, on ne doit pas lui refuser le titre de science, parce qu’elle ne procède point de principes connus par eux-mêmes. Comme la perspective a ses principes dans une science supérieure, la géométrie, ainsi la science sacrée procède de principes connus par la lumière d’une science supérieure, qui est celle de Dieu et des bienheureux. Elle surpasse en dignité les autres sciences, puisqu’elle puise sa certitude dans une science divine, c’est-à-dire infaillible, puisqu’elle traite principalement de choses qui sont supérieures à la raison humaine, et que, si elle emprunte quelque chose aux sciences philosophiques, ce n’est point ses principes. Toutefois cette science est argumentative. Sans doute elle n’argumente point pour prouver ses principes, qui sont les articles de foi ; mais elle argumente de ses principes pour prouver le reste. Dans les sciences philosophiques, les sciences secondaires ne discutent pas avec quiconque nie leurs principes ; elles laissent cela à une science supérieure, à la métaphysique, qui elle-même ne discute pas, si l’adversaire ne lui accorde rien, mais qui peut alors résoudre seulement ses objections. Ainsi fait la science sacrée. Elle est en droit de s’appuyer sur l’autorité, base très faible pour les sciences fondées sur la raison humaine, mais non pour une science qui se fonde sur une révélation divine et qui peut apparemment invoquer l’autorité de ceux qui l’ont directement reçue. Elle emploie également la raison humaine, non pas afin de prouver la foi, ce qui en détruirait le mérite, mais pour donner plus d’évidence à quelques-uns de ses enseignemens. Quant à ses autorités, ce sont les livres canoniques, sur lesquels elle fonde des raisonnemens nécessaires. L’autorité des docteurs de l’église ne peut donner lieu qu’à des argumens probables.

Voilà exactement la pensée de saint Thomas. Quelle sagesse ! quelle mesure ! quel juste partage entre la science révélée et la science humaine ! Y a-t-il rien ici de ces prétentions absolues, de ces exclusions impérieuses où l’on se complaît aujourd’hui ? Dit-il que la philosophie n’existe pas ? Il établit seulement que la théologie existe comme elle. Récuse-t-il la raison, la science, le raisonnement ? Il dit seulement qu’il y a une science qui prend ses principes ailleurs que dans la lumière naturelle. Soumet-il la philosophie à la théologie ? Il dit seulement que la théologie est supérieure en dignité, parce qu’elle tient ses principes de Dieu même. Tout ce qu’il dit, il est en droit de le dire, et si tous les écrivains de l’église tenaient aujourd’hui son