Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/833

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les choses que la raison humaine peut rechercher touchant Dieu. Ces choses sont, entre autres, l’existence, l’unité, la bonté de Dieu, ses attributs généraux, puis la simplicité, l’immortalité et les facultés de l’âme.

On le voit, nous sommes loin du père Ventura. Il nous interdisait la raison inquisitive et ne nous laissait que la raison démonstrative, qu’il identifiait avec la raison catholique, prêtant sans doute à ce mot de démonstration un sens que ne connaît ni la géométrie, ni la logique, ni la scolastique, et voilà que saint Thomas refuse à la vérité révélée la démonstration, et, admettant en dehors d’elle, plaçant avant elle l’inquisition de la raison ou la raison inquisitive, il tient celle-ci pour seule démonstrative. La contradiction peut-elle être plus directe qu’entre le maître et le disciple ?

Mais nous voulons faire beau jeu au père Ventura. Nous n’avons cité comme lui que la Somme contre les Gentils. L’ouvrage a été contesté. L’auteur ne s’y adresse qu’à des incrédules. Peut-être leur a-t-il fait quelque concession pour se mettre à leur portée. Consultons un livre plus célèbre, plus complet, d’une autorité plus grande, la Somme théologique. C’est son dernier ouvrage ; nous aurons ici toute sa pensée. Ici il parle à ceux qui ne nient pas tous les principes de la théologie, non pas aux hérétiques seulement, mais aux commençans, aux novices, aux philosophes qui veulent s’instruire. Dès la première page, il établit ce que c’est que la théologie. Peut-être va-t-il immoler toute philosophie aux pieds de la théologie ; c’est le moment ou jamais de faire de celle-ci la science unique : l’essaie-t-il ? Nullement ; il n’y pense pas. Il ne révoque pas en doute un instant l’existence de la science philosophique, qui est du ressort de la raison. Il recherche si elle est, comme il le semble, la science suffisante, et il établit pourquoi la doctrine chrétienne a été nécessaire et comment elle est une science aussi. Mais exposons sa pensée en n’employant guère que ses expressions.

Est-il nécessaire qu’il y ait une autre science que les sciences philosophiques ? Oui, car l’Écriture sainte, divinement inspirée, est utile pour nous enseigner la justice, c’est-à-dire ce qui donne le salut. Or elle n’est pas du ressort de la raison humaine. Elle nous apprend elle-même que l’homme est ordonné pour une fin qui ne lui est connue que par une révélation divine. Celle-ci lui est nécessaire, même pour les choses touchant Dieu qui peuvent être cherchées par la raison humaine, car la science ainsi acquise demande trop de temps, elle est à la portée de trop peu de monde, et elle n’arriverait pas au commun des hommes sans se mêler de beaucoup d’erreurs. De la nécessité d’une révélation divine pour le salut se tire la nécessité d’une science qui soit comme la doctrine de cette révélation. La