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amena un grand mouvement de ferveur et de foi. Parmi les protestans, c’était une ardeur de néophytes ; quant à l’église romaine, elle s’était réformée elle-même en présence de la réforme luthérienne : de part et d’autre, les âmes se rattachaient plus fortement au dogme et à toutes les prescriptions du culte extérieur. Contre cet ascendant qui semblait ennemi de toute liberté d’esprit, on vit s’élever, pendant la seconde moitié du XVIIe siècle, une réaction dont les effets, qui se sont produits dans le protestantisme aussi bien que dans le sein de l’église romaine, ont pris les différens noms de quakerisme, piétisme, jansénisme et quiétisme. Le quiétisme en particulier, sans offrir la même élévation de doctrine que la plupart des systèmes mystiques sur lesquels il croyait cependant renchérir, en offrait tous les dangers. Il n’atteignait pas à leur hauteur, car il ne donnait pas à l’âme le ressort nécessaire pour un pareil élan ; mais il la détachait également des liens qui lui sont salutaires. L’âme a besoin, non à cause de sa nature tout indépendante et divine, mais à cause sans doute de son alliance avec le corps, que certaines attaches la maintiennent dans la voie où notre intelligence peut l’accompagner et la suivre. C’est justement le sens précis du mot religion de signifier que le dogme et le culte extérieur sont destinés à remplir ce rôle nécessaire. M. Scharling, habile théologien, nous semble pourtant avoir tenu trop peu de compte de ces principes dans son récent travail sur Molinos. Le théologien danois ne refuse pas à l’église catholique le droit dont elle a usé de condamner et de réprimer les erreurs du quiétisme, mais il considère volontiers Molinos comme une sorte de saint qui tenta, au XVIIe siècle, d’introduire dans l’église romaine une réforme consistant à ramener les âmes du culte extérieur à la religion intérieure. M. Scharling appellerait volontiers Molinos un protestant au milieu de l’église romaine ; il pense que Molinos a dissimulé, afin d’échapper le plus longtemps possible à toute condamnation. Il va jusqu’à croire qu’il n’était pas véritablement mystique ou quiétiste, et qu’il a feint cette hérésie pour faire passer sous une apparence peu redoutée les doctrines destinées à régénérer l’église catholique dans le sens protestant. Il le nomme un Hamlet religieux. — Cependant M. Scharling sait fort bien que Hamlet, à force de contrefaire la folie, est devenu fou lui-même, et que la contagion de sa démence a coûté la vie à la pauvre Ophélia. Que Molinos ait feint ou non d’être quiétiste, ce serait donc tout un pour ce qui le concerne et pour ses disciples. L’a-t-il été en effet, et ses doctrines étaient-elles réellement dangereuses ? Nous ne croyons pas qu’il soit possible de le nier.

Une chose entr’autres peut expliquer que M. Scharling soit devenu partial pour son héros, c’est qu’il en a étudié la vie et toutes les pensées avec un soin curieux. Nous ne possédions pas de biographie exacte de Molinos avant ce travail si complet, dont la lecture éclairera plusieurs points de l’histoire religieuse du XVIIe siècle. M. Scharling s’est montré, dans ce travail, non pas seulement théologien disert et délié, mais historien sévère. Il a recueilli dans des livres et des manuscrits peu connus nombre de témoignages sur Molinos qui voient le jour pour la première fois, et, ce qui ne gâte rien, il met habilement en scène les épisodes dramatiques de la vie de son héros, qu’il suit jusqu’aux derniers momens.