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dans la musique instrumentale. MM. Onslow, Reber, Berlioz, Félicien David, ont fait des symphonies qui ont trouvé des appréciateurs plus ou moins chaleureux, mais que la grande masse du public éclairé a laissé passer sans trop y prendre garde. C’est qu’il en est un peu de la symphonie comme d’un poème épique : s’il n’est exquis, s’il ne reflète pas les vives et puissantes clartés de la passion et du génie, il n’a pas de raison d’être. Pour un Homère, pour un Virgile, pour un Dante, un Tasse, un Arioste, un Milton, un Camoëns, un Wieland, etc., que de milliers de prétendus poèmes ont été fabriqués, dont le souvenir ne s’est conservé que dans le catalogue des bibliomanes ! De nos jours encore, et malgré le naufrage de la Henriade, n’a-t-on pas vu des hommes d’esprit conserver l’illusion du poème épique, et charger leurs bagages littéraires du poids énorme d’une Philippéide ! Redisons-le, la symphonie n’est point une conception ordinaire qu’il soit permis d’aborder sans terreur. Elle suppose de la part de l’artiste la plus grande ambition e t les plus hautes facultés de l’esprit, et c’est pourquoi il n’est donné qu’à un très petit nombre d’êtres privilégiés d’y réussir.

M. Théodore Gouvy est un jeune compositeur français qui habite l’Allemagne et qui cultive avec succès la musique instrumentale. Disciple de Mendelssohn, comme le sont presque tous les symphonistes modernes, parce qu’il est plus facile d’imiter un maître qui a plus de savoir que de génie, M. Gouvy s’est fait connaître par une symphonie qui a été exécutée par la société Sainte-Cécile il y a deux ans. Celle qu’il a fait entendre cette année dans un concert qu’il a donné le 10 janvier renferme de très bonnes parties, le larghetto, par exemple, et le scherzo, qui a de la grâce. Une sérénade pour instrumens à cordes, qui remplissait le troisième numéro du programme, est aussi un morceau agréable, rempli d’émotion et d’élégance. Sans doute qu’on pourrait désirer plus d’invention dans la musique de M. Gouvy, et quelques-unes de ces témérités qui font pardonner bien des fautes ; mais des détails ingénieux, de la clarté dans le plan général, de la sobriété et parfois de l’onction et de la grâce dans les mélodies, sont des qualités secondaires qu’on rencontre souvent dans les compositions de M. Gouvy, et qui recommandent son nom à la critique sérieuse. N’est-il pas curieux aussi de trouver une femme parmi le très petit nombre de musiciens français qui se sont voués à la musique instrumentale ? Mme Farrenc, professeur de piano au Conservatoire, est sans contredit une artiste de distinction. Élève de Reicha pour l’harmonie et le contre-point, Mme Farrenc a composé des sonates, des trios, un septuor pour instrumens à vent, et trois symphonies, dont la dernière en sol mineur, a été exécutée dans la salle Herz le 14 janvier. Il y a de très bonnes choses dans cette symphonie, et le scherzo surtout est rempli de détails piquans, déduits avec beaucoup d’adresse et ramenés au thème avec une sûreté de main vraiment remarquable, et dont beaucoup de compositeurs célèbres pourraient être jaloux.

Deux célèbres violonistes, MM. Vieuxtemps et Sivori, se trouvent actuellement à Paris. M. Vieuxtemps, dont nous avons déjà apprécié le mérite, a donné deux concerts qui ont été fort suivis, et puis il s’est fait entendre deux fois à l’Opéra, où il a produit moins d’effet que dans la salle Herz, mieux