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L’Opéra s’est enfin passé la fantaisie de la Louise Miller de M. Verdi, dont la première représentation avait été retardée indéfiniment et qu’on aurait pu retarder encore sans grand dommage pour l’art et les plaisirs du public. Traduit en français par un homme d’esprit qui a l’habitude de ces sortes de trahisons, comme dit le proverbe italien, l’ouvrage du compositeur ultra-montain, bien loin de gagner à ce changement de climat, y a perdu quelques-unes des qualités qu’il possède dans la langue où il a été conçu. Nous ne reviendrons pas sur la musique et le sujet de Louise Miller, dont nous avons déjà apprécié le mérite et signalé les faiblesses. Il nous suffira d’ajouter aujourd’hui que, dans la grande salle de l’Opéra, l’œuvre de M. Verdi a produit un effet encore plus fâcheux qu’au Théâtre-Italien, et qu’il sera bien difficile au trop célèbre maestro de réparer le double échec qu’il vient d’éprouver à Paris. Tout le monde a été frappé de la pauvreté de cette musique violente et de courte haleine, qui ne révèle ni l’originalité de l’inspiration ni la main d’un vrai maître. C’est une très mauvaise imitation de l’école allemande et particulièrement du Freyschütz de Weber, qui est à M. Verdi ce que Corneille est à Crébillon. L’exécution est très imparfaite. MM. Gueymard et Morelli crient et hurlent à l’envi l’un de l’autre, et, quant à Mme Bosio, qui est chargée du rôle de Louise, c’est une cantatrice sur le retour, dont la voix de soprano aigu manque de timbre dans les cordes du médium et accuse la fatigue dans le registre supérieur par une vibration qui tourmente l’oreille. Du reste, Mme Bosio est une artiste de mérite qui a du feu, de la flexibilité dans l’organe. Elle a fait ressortir certaines parties de son rôle que Mlle Cruvelli avait complètement négligées. On peut se demander cependant s’il était bien nécessaire d’engager une cantatrice nouvelle pour chanter la partie de Louise, et si Mme Tedesco, avec sa belle voix limpide et froide comme de la glace, n’aurait pas suffi à l’entreprise. Que faites-vous donc de Mlle La Grua, jeune et jolie personne que vous laissez se morfondre avec sa belle voix vigoureusement trempée, et qui n’a pu se produire jusqu’ici que dans le Juif errant, qui ne marche plus, ou dans Robert, pour remplacer de temps en temps Mlle Poinsot, dont vous aimez tant les intonations fausses et la voix criarde ?

Depuis que Marco Spada a pris possession de son succès, qui est loin de s’épuiser, le théâtre de l’Opéra-Comique, dont on ne peut que louer l’activité, a donné un tout petit acte, le Miroir, dont la musique est de M. Gastinel, grand prix de Rome, qui vient de faire avec distinction ses premières armes. Le Sourd ou l’Auberge pleine, cette grosse facétie du comédien Desforges, qui remonte à l’année 1790 et qui a été arrangée depuis pour tous les théâtres de Paris, vient aussi de prendre le masque d’un opéra-comique en trois actes. La musique de cette bonne plaisanterie de carnaval a été accommodée avec esprit et adresse par M. Adam, qui était là dans son véritable élément. M. Sainte-Foy, dans le rôle de Danières, est d’un comique achevé. Mlle Lemercier rend aussi avec malice l’accent et les allures d’une franche Provençale. Un succès de meilleur aloi est celui que vient d’obtenir un charmant petit opéra en un acte, les Noces de Jeannette. Le sujet de cette pièce, qui n’est pas sans présenter à l’esprit quelque rapport lointain avec le Champi et les autres fables paysanesques de Mme George Sand, a été choisi avec goût et lestement