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de repousser ostensiblement les déclamations fiévreuses des journaux piétistes, bonnes seulement à entretenir entre les peuples l’irritation et l’inquiétude.

Les débats parlementaires se poursuivent d’ailleurs en Prusse avec vivacité. Le parti féodal vient de remporter coup sur coup deux avantages importans dans les deux questions les plus graves qui aient depuis longtemps occupé les chambres, la question de la pairie et celle de l’administration communale. La première chambre a voté l’amendement du chef de l’extrême droite, le De Maistre protestant de la Prusse, M. Stahl, qui confère au roi le pouvoir de nommer les pairs à vie ou héréditairement. Il est vrai qu’avant d’avoir force de loi, cet amendement a besoin d’être agréé par la seconde chambre, et qu’il peut encore échouer dans cette nouvelle épreuve. Cependant la seconde chambre vient, de son côté, de voter l’abolition de la loi communale, de cette loi célèbre qui devait être, dans l’espoir du parti libéral, le complément et l’appui de la constitution de 1850, et qui, à peine proclamée, a suscité contre elle l’opposition ardente et aujourd’hui victorieuse de la haute noblesse et des hobereaux. La seconde chambre, elle aussi, cède donc, momentanément du moins, aux influences sur ce point triomphantes de la féodalité.

L’affaire du Monténégro continue en même temps d’occuper l’Allemagne, et les mouvemens de troupes qui ont eu lieu en Autriche vers la frontière ottomane ont un moment fait croire que la question ne se terminerait pas sans un conflit diplomatique. Les inquiétudes que l’on pouvait concevoir à cet égard semblent devoir se dissiper peu à peu. Le cabinet de Vienne, on le sait, a envoyé à Constantinople en mission extraordinaire le prince de Leiningen, et cette mission, à laquelle l’opinion s’était plu à attribuer d’abord un caractère agressif, se présente maintenant sous un jour beaucoup plus rassurant. D’après un article de la Gazette officielle de Vienne, le cabinet autrichien, qui a été accusé d’encourager l’insurrection des Monténégrins, se bornerait aujourd’hui à demander à la Porte le maintien du statu quo ante bellum et la promesse de quelques concessions aux chrétiens de la Bosnie. Il est impossible toutefois de ne pas être frappé du soin que l’Autriche met à se poser en protectrice des chrétiens dans les provinces voisines de ses frontières. C’est depuis quelques années seulement qu’elle a pris cette attitude, et il semble qu’elle veuille suivre en cela de tout point l’exemple de la Russie. Comme la Russie se pique de protéger les Bulgares et les Serbes, l’Autriche affecte de revendiquer le protectorat des Bosniaques et des Albanais catholiques. Au Monténégro, les deux puissances se disputent le terrain ; seulement ici la Russie a de l’avance sur sa rivale. Cette rivalité d’ailleurs est exempte de tout sentiment d’hostilité. L’Autriche croit avoir le même intérêt que la Russie à viser au partage de l’empire ottoman. Tout spécieux qu’il soit, ce calcul est erroné, et l’Autriche aurait moins à s’applaudir peut-être qu’elle ne l’imagine de la chute de la Turquie ; mais le rôle de protectrice des Slaves catholiques de Turquie lui sourit depuis que les Slaves de la Hongrie méridionale et de la Bohême lui ont rendu de si grands services dans les révolutions de 1848 et 1849. Le gouvernement autrichien ne sait comment payer les services que lui rappellent chaque jour avec amertume ces peuples non récompensés ; c’est à