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sujet qui peut faire, par sa nouveauté, le suprême intérêt de Marguerite, ce n’est ni la variété ni la puissance de l’action ; mais sur ce thème délicat et subtil l’auteur a brodé toutes sortes de variations charmantes. La fantaisie railleuse se mêle à l’observation fine et pénétrante. La main féminine se fait sentir dans l’analyse des orages, des frivolités, des délicatesses d’un cœur de femme, comme dans un détail de toilette jeté en passant. Ce qui distingue donc Marguerite, c’est une certaine grâce mondaine, une certaine fleur de distinction et d’élégance qui tranche avec les vulgarités du roman contemporain. Que faut-il de plus ? N’est-ce point assez qu’une lecture de deux heures qui intéresse et amuse ? C’est un mérite assez grand, il nous semble, de ne point laisser place à l’ennui : il n’en faudrait pour preuve que Lady Tartufe.

Brillantes réunions de théâtre, spirituelles peintures des amours mondains, succès ou échecs littéraires, tout cela cependant ne s’efface-t-il pas devant la réalité qui reprend en certains momens son empire et se manifeste dans ce qu’elle a de plus saisissant au dehors ? L’esprit d’insurrection, qu’on croyait étouffé et qui n’était pas même endormi, vient en effet de faire une apparition nouvelle à Milan, comme nous le disions. C’est le jour même du carnaval que cette étrange tentative a eu lieu et a ensanglanté une fois de plus la Lombardie. Des barricades ont été élevées, quelques attaques ont été dirigées contre des casernes et des postes autrichiens ; mais il a suffi de quelques heures pour comprimer l’insurrection naissante. Malheureusement, à la suite sont venues déjà des rigueurs trop explicables : un certain nombre d’exécutions ont accompagné le soulèvement du 6 février. Ce mouvement était-il préparé et combiné de longue date ? Ce qui tendrait à le faire croire, c’est l’agitation qui s’est produite simultanément sur divers points de la Lombardie ; mais il y a une preuve plus certaine : c’est la publication des manifestes des comités de Londres. Il y avait longtemps que M. Mazzini et M. Kossuth n’étaient apparus, la foudre en main, comme les Jupiters de l’olympe révolutionnaire. Ce silence va mal à leur nature : ils ont besoin de souffler la guerre quelque part. Il faut que ces inflexibles orgueils s’attestent à eux-mêmes leur puissance par les immolations qu’ils causent et dont ils sont les premiers coupables. M. Mazzini s’adresse donc aux Italiens pour leur prêcher la guerre au couteau, et M. Kossuth prend la parole pour sommer les soldats hongrois de faire cause commune avec les insurgés italiens. Rien n’est plus curieux, au reste, que ce mélange d’excitations inouïes et de jactance révolutionnaire, de fanatisme et de despotique violence, qui fait le fonds de ce manifeste. M. Kossuth daigne apprendre au monde qu’il est plein d’activité, et qu’il est sur le point d’atteindre son but. Il ne peut se défaire de ses allures de dictateur, et voici qu’au nom de sa nation il contracte gravement des alliances ; il fait des pactes avec M. Mazzini, qui a tout autant de titres pour contracter au nom de l’Italie. Savez-vous les résultats ? Ce sont de pauvres diables qui vont pendre à une potence ou se faire fusiller à Milan, tandis que MM. Mazzini et Kossuth rédigent des manifestes. Aujourd’hui, et on ne saurait s’en étonner, l’Autriche redouble de vigilance et de sévérité. Les lois de l’état de siège sont appliquées dans toute leur rigueur