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Elle repose sur une fable impossible, sur une calomnie à laquelle on ne croit pas. On fait comme l’amant de cette jeune fille que la calomnie cherche à flétrir : on la regarde, et l’histoire s’évanouit. Est-ce donc par les caractères que la comédie nouvelle se soutient ? Mais la plupart manquent de vérité ; ils ne vivent pas, parce que l’artifice de l’imagination s’y fait sentir en mille dissonances et en mille affectations. Il y a dans la pièce un homme d’esprit qui fait la bête, selon le langage de l’auteur, et qui pourrait passer pour jouer le personnage tout contraire. La seule figure vraie et vivante peut-être est celle de cette jeune fille, passant à travers toute cette atmosphère de calomnie qui l’environne, comme un oiseau qui, par sa légèreté, échappe à tous les pièges. Mlle Rachel n’a pu changer la fortune de Lady Tartufe ; elle l’a peut-être aggravée au contraire. Mlle Rachel se démène au milieu de cette frêle action comme une âme en peine, comme une ombre tragique qui cherche le poignard et qui va poser la main sur le fameux uniforme du singe du petit Savoyard. Dans l’impuissance de Mlle Rachel, dans la figure qu’elle fait, éclate tout entière l’inégalité entre l’idée que l’auteur s’était proposée et les forces réelles de son esprit. Et cependant dans cette comédie, qui n’est vraie que par l’idée première, qui n’intéresse que par momens, où le dialogue ressemble le plus souvent à un monologue de l’auteur parlant sous tous les masques, dans cette comédie il y a encore bien des saillies mordantes, bien des détails d’une observation non pas profonde, mais spirituellement paradoxale. Il y a tout ce mouvement, tout ce pétillement d’un esprit distingué qui est peut-être mieux à sa place dans un roman que sur la scène. On pourrait, à la rigueur, être adorablement faux dans un roman, non au théâtre. Aussi n’est-il pas surprenant que Mme de Girardin se trouve au même instant lancer dans le public une comédie qui n’aura qu’un succès douteux, et un roman qui est une lecture agréable et charmante, comme Marguerite.

Dans le système des compensations qui régit heureusement les choses humaines, Marguerite vient à propos à côté de Lady Tartufe. Là, tous ces détails piquans, tout cet esprit mobile et léger, tout ce manège de l’observation féminine, ces allusions qu’on jette ou qu’on retient, tous ces traits de passion intime ou de fantaisie moqueuse, perdent bien moins leur relief ou leur grâce. Mme de Meuilles, Marguerite, est une jeune femme merveilleusement belle, languissante et pâle. Elle relève de maladie et a cet attrait charmant de la beauté qui renaît. Déjà veuve, elle est sur le point de se remarier avec un cousin, Etienne d’Arzac, qui l’aime passionnément. Elle l’aime aussi ; elle l’aime avec calme, avec bonheur, avec un cœur content. Consultez l’auteur ; il vous dira que c’est là le danger, qu’on n’aime pas pour être heureux, mais pour être malheureux, que le véritable amour n’est pas celui qui jette la joie dans votre vie, mais celui qui la ravage et la dévaste, — ce qui, à vrai dire, dépend très probablement des goûts. Toujours est-il que Marguerite se trouve bientôt, sans y songer, entre l’amour heureux, représenté par Etienne d’Arzac, et l’amour malheureux, fatal, impossible et inévitable, qui s’offre à elle sous la figure de M. de La Fresnaye. L’amour heureux a beau lutter, il est vaincu par l’amour ravageur, et le triomphe de ce dernier est le signal de la mort de la pauvre Marguerite. Ce n’est point, on le voit, le