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des peuples, il y a des esprits qui s’amusent à allumer pour leur passe-temps toutes sortes d’incendies européens, à brûler de la poudre dont l’odeur ne se fait sentir heureusement que dans les brochures. C’est le contraste entre l’imagination et la réalité. On n’a point sans doute oublié la grande querelle récemment engagée entre les Limites de la France et les Limites de la Belgique, querelle où nous avons mêlé à tort, à ce qu’il paraît, le nom de M. Jottrand, avocat de Bruxelles. M. Jottrand n’est point l’auteur des Limites de la Belgique ; nous nous sommes trompés sur le nom, point sur les idées, dont M. Jottrand ne semble guère décliner la solidarité, et encore notre erreur était-elle celle de bien des gens en Belgique, par une raison assez naïve : c’est qu’on supposait que l’honorable avocat de Bruxelles pouvait seul avoir l’idée d’annexer la France à la Belgique. Il paraît qu’il n’en est pas ainsi. Au fond, d’ailleurs, peut-être eût-il mieux valu que M. Jottrand fût l’auteur de ce singulier livre, parce qu’enfin il n’eût risqué que lui-même ; il n’eût pu, par sa position, éveiller la pensée d’une solidarité que le gouvernement belge désavouerait certainement, à moins que le cabinet de Bruxelles ne sente le besoin à son tour de jouer son rôle dans ce drame de l’imagination effarée dont nous parlions. Pour le moment, la question reste donc indécise sur le point de savoir si c’est la Belgique qui sera annexée à la France, ou la France à la Belgique. Le feu s’éteint de ce côté ; mais il s’ouvre aussitôt sur un autre point, et nous voici retombés en pleine invasion de l’Angleterre. C’est là tout simplement ce que l’auteur des Lettres franques a à proposer au gouvernement français. Il ne faut à l’ardent ennemi du nom britannique rien moins que l’immolation de l’Angleterre, pour le plus grand honneur de l’humanité et de la morale. Faute de voir son idée acceptée par le gouvernement, l’auteur se verra dans l’obligation de la porter à M. le comte de Chambord, qui la mettra très certainement à exécution au premier jour. L’auteur des Lettres franques semble en effet appartenir à une certaine fraction du parti légitimiste qui fait beaucoup d’articles avec les Anglais de l’extérieur et de l’intérieur, et qui n’a jamais pu trouver une aiguille assez fine pour y mettre son parti en équilibre. Heureusement, dans la présente brochure, les Anglais de l’intérieur ne viennent qu’en post-scriptum ; autrement nous nous figurons qu’ils allaient être convenablement pulvérisés, au moins autant que les Anglais de l’extérieur.

Ce qu’il y a de mieux, c’est que les Lettres franques ont eu à Londres un succès étrange et colossal : elles ont fait baisser les fonds dans la Cité, et probablement aussi la nouvelle milice a fait dans tous les comtés une promenade patriotique, pour repousser les Français prêts à débarquer. Il y a ainsi bon nombre d’Anglais, à ce qu’il paraît, qui croient à une toute prochaine descente d’une armée française. Par bonheur, la paix a trouvé un rude champion en Angleterre : c’est M. Richard Cobden. M. Cobden tient des meetings pour la concorde universelle et rédige des brochures. Il réunit le congrès de la paix et tient bon contre tous. Rien n’ébranle cet homme intrépide, pas même quand on lui dit, comme à Manchester, que ledit congrès réunit en sa faveur toutes sortes de considérations, mais qu’il n’a pas le sens commun. Qu’a donc fait cette pauvre paix des nations pour être ainsi défendue ? Et comme il faut que l’humour britannique trouve toujours son issue, M. Cobden