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chaque jour des scissions et des crises, à travestir les hommes et les choses ; il n’en faudrait point cependant grossir l’importance. De tout temps, on a pu voir à l’œuvre cet étrange besoin de savoir plus que ce qui existe réellement et de dire plus que ce qui est vrai. Naturellement ce besoin change d’expression selon les circonstances ; il trouve une issue dans les journaux quand les journaux ont le droit de tout dire, de tout imprimer, de tout divulguer. Il prend la forme d’un bruit, d’une rumeur voyageuse, d’un mot échangé en passant, d’une confidence qui, sans être publique, appartient à tout le monde, sous l’empire des régimes qui imposent une plus étroite réserve. Si ces régimes sont quelquefois une garantie, ils ont souvent aussi un inconvénient dont ils souffrent eux-mêmes : c’est qu’ils fournissent un prétexte pour dire tout bas ce qu’en aucun cas on n’oserait dire tout haut ; c’est que la crédulité s’y développe d’une manière singulière, au point d’ajouter foi aux plus ridicules commérages comme aux fables les plus impossibles. Tout ce que peut faire l’autorité publique, c’est d’intervenir là où cette propagation clandestine prend le caractère de la diffamation et de l’injure. Quant au reste, quant à ce besoin particulièrement inhérent à l’esprit français de chercher partout un aliment, de se répandre dans les conversations, de faire tout comparaître à son tribunal, souvent plus amusant que juste, mieux que tout autre le gouvernement peut savoir s’il est toujours facile et même s’il est utile de lutter avec l’impalpable et l’inconnu, avec ce délit perpétuel et insaisissable des imaginations inventives et médisantes. Si les gouvernemens s’imposaient un tel travail, ils trouveraient probablement bien des coupables, à commencer fréquemment par leurs amis eux-mêmes, car quel est l’homme en France qui se refuse le plaisir d’une saillie, même contre le pouvoir qu’il sert ? Ce qu’il y a donc de mieux pour le gouvernement, il nous semble, c’est, sans abdiquer le droit de réprimer, quand il peut, les fables injurieuses et les nouvelles mensongères, de leur opposer surtout les actes d’une politique intelligente et juste. Quelque place qu’occupent parfois dans le mouvement social les bruits et les rumeurs, les choses sérieuses ne laissent point d’y reprendre naturellement leur rang ; il y en a un nombre suffisant aujourd’hui. La session législative s’ouvre à l’heure où nous sommes. Hier à peine M. le ministre des finances, dans un rapport à l’empereur, exposait les résultats de l’exercice financier de 1852 et l’état présent des ressources du trésor. Il y a peu de jours, le gouvernement décrétait la création d’un conseil supérieur de l’agriculture, du commerce et de l’industrie. Plus que jamais l’Algérie devient en ce moment l’objet de l’attention universelle. Enfin, depuis quinze jours, le conseil supérieur de l’instruction publique tient une laborieuse session. À travers les mobilités de la politique, n’aperçoit-on pas là quelques-uns des élémens les plus sérieux de la présente situation de la France au point de vue de ses intérêts positifs et permanens ?

C’est aujourd’hui même en effet que s’ouvre la session législative légale et régulière. Elle s’ouvrait il y a un an au lendemain du 2 décembre, elle s’ouvre maintenant au lendemain du rétablissement du pouvoir monarchique. Très probablement une communication de l’empereur viendra exposer l’état général des affaires, du pays. On sait suffisamment du reste que le corps législatif n’a point à délibérer de réponse à ces manifestations du chef de l’état ; il