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ADELINE PROTAT.

chapeau gris à larges bords. Pour assurer sa marche autant que pour alléger la pesanteur d’un sac qui paraissait bourré outre mesure, il s’appuyait sur un long bâton dont l’extrémité ferrée faisait jaillir des étincelles chaque fois qu’elle rencontrait du grès ou du pavé. Ce piéton, dont le costume et les allures indiquaient au premier examen un artiste touriste, s’appelait Lazare, et se rendait au village de Montigny, où il avait coutume d’habiter depuis deux années. Derrière lui, à quelque distance, cheminait, traînant le pied comme un gibier blessé, un jeune paysan qui paraissait âgé de douze à treize ans. Lui aussi ployait l’échine sous le poids d’une lourde boîte sur laquelle étaient bouclés un chevalet de campagne et un de ces grands parasols en toile blanche dont les peintres se servent pour se ménager une lumière égale lorsqu’ils travaillent en plein air. Lazare et le jeune paysan traversaient alors une grande plaine très animée par les travaux de la moisson. À chaque minute, l’éclat du soleil, en frappant le fer des faucilles, allumait un éclair dans la main des moissonneurs à demi cachés dans l’épaisseur des sillons, et dont les rumeurs effarouchaient les bandes d’alouettes qui tournoyaient au-dessus des blés, inquiètes de leurs couvées. À la droite des deux piétons, derrière la ligne mobile de peupliers qui indique le cours du Loing, un horizon peu accidenté, rappelant les terrains plats de la Beauce, prolongeait ses lointains bleuâtres jusqu’aux confins du Gâtinais. On apercevait distinctement Grez, qui fut autrefois une ville, et où se trouvent encore les ruines informes d’un château bâti par la reine Blanche pendant sa régence. À côté de ces débris, on voit une église qui marque, au dire des archéologues, la première époque du temps où l’influence de l’architecture sarrasine, rapportée des croisades, commença à se faire sentir dans les monumens. À peu près dans la même direction, mais à un point plus reculé de l’horizon, entre Nemours et La Chapelle de la Reine, le sommet noirci de la haute tour de Larchant s’élève au-dessus de la profonde vallée où est situé ce bourg, qui fut un point d’occupation militaire à l’époque de l’invasion des Gaules, et devint au moyen âge une place fortifiée et un lieu de pèlerinage célèbre où les fidèles venaient de plus de vingt lieues à la ronde pour adorer les reliques de saint Mathurin. À la gauche des voyageurs, la lisière de la forêt de Fontainebleau s’étendait, enfermant de ce côté le pays par une ligne de verdure qui s’en allait rejoindre le village de Bourron à l’endroit où passe la route qui conduit à Nemours. Au bas de cette sorte de rampe, les maisons de Marlotte élevaient leurs toitures rousses. Devant eux, et dans la même direction qu’ils suivaient pour se rendre à Montigny, la rivière du Loing découpait ses pittoresques sinuosités, en arrosant la campagne fertile au bout de laquelle se trouve la petite ville de Moret, où le marteau de l’embellissement public fait tomber