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du Scioto. Ce fleuve sans bruit et comme sans rives semble perdu dans la solitude ; on dirait qu’il dort et qu’il rêve.

Ce coin de forêt est bien un reste de la forêt primitive, la hache n’a jamais frappé les arbres autour desquels s’enroulent les lianes et les vignes sauvages ; mais l’homme, qui ne l’a pas encore cultivé, en a déjà pris possession ; il l’a entouré d’une barrière qu’il a fallu escalader pour pénétrer dans cette solitude. Un groupe remarquable de M. Greenough, statuaire américain, représente la race anglo-saxonne contenant et désarmant la race indienne : de même ici la civilisation étreint, pour ainsi dire, le désert quelle va faire disparaître.

Je dois aux antiquités de l’Ohio d’avoir joui comme je ne l’avais pas fait encore de ce charme silencieux des eaux et des forêts américaines. Le pays est ravissant ; partout on aperçoit des montagnes arrondies couvertes de belles forêts, en ce moment parées de toutes les splendeurs de l’automne. Nulle part dans le monde, les teintes du feuillage en cette saison ne sont vives et variées comme dans l’Amérique du Nord ; la diversité des arbres dans les forêts est très grande, et plusieurs de ces arbres se teignent en automne des couleurs les plus brillantes : le rouge sanglant, l’orangé, le brun doré, y éclatent à côté l’un de l’autre au milieu d’une verdure tantôt sombre, tantôt claire. Le regard est vraiment ébloui de cet arc-en-ciel de la végétation, il n’en est pas toujours complètement satisfait. Quelquefois ces tons si vifs ne sont pas harmonieusement fondus et crient, mais par momens on rencontre au contraire les combinaisons les plus harmonieuses, en même temps que les plus éclatantes. Alors c’est un spectacle qui, je crois, n’a point son pareil dans un autre pays, et, pour emprunter les expressions d’un poète américain, « les teintes que déploient les bois d’érables sont comme le bouton qui s’ouvre ou la rose qui pâlit, ou variées comme les couleurs des nuages au coucher du soleil. »