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démocratique combat ce que le véritable esprit démocratique favorise, la puissance de l’association libre. Par un effroi déraisonnable d’une tyrannie chimérique, on en est venu à priver l’individu qu’on croit protéger contre elle de son droit d’agir. Il faut que les Américains se défendent de cette tendance extrême, trop marquée dans les nouveaux états, et qui est contraire à ce qui fait surtout la force et la grandeur de leur pays, l’accord volontaire des efforts particuliers pour un but commun.

On sait, par les gaietés de mistress Trollope, que le commerce des porcs est considérable à Cincinnati. Dans l’état actuel des sociétés, dont le commerce détermine la prospérité et la puissance, il n’est peut-être pas intelligent de traiter légèrement l’immense développement d’une branche de négoce, quelle qu’elle soit. Eh bien ! oui, on tue et on sale beaucoup de porcs à Cincinnati, et c’est en partie pour cela qu’au bout d’un demi-siècle il se trouve sur le bord de l’Ohio, au lieu des sauvages qui scalpaient les navigateurs, une ville de cent mille âmes, des églises, des écoles, des théâtres, et même un observatoire. Je ne suis pas cependant à la hauteur d’un écrivain indigène qui s’écrie : « L’étranger qui se trouve ici durant la saison où l’on encaque (packing), et surtout celle où on expédie cet article, perd la tête (is bewildered) en cherchant à se tenir au courant, par l’œil et par la mémoire, des procédés divers qu’il a successivement observés, tandis qu’il suivait les différens degrés de la préparation du porc jusqu’à l’état final dans lequel il est vendu, et en contemplant les lignes de charettes interminables, ce semble, qui, à cette époque occupent les principales rues, allant et retournant en files continues sur une étendue d’un mille et plus de longueur, excluant tout autre emploi de ces rues depuis l’aube jusqu’au soir. » Voilà une période digne de Cicéron, au moins pour la longueur. Cela est presque lyrique et rappelle en vérité (pardon pour le rapprochement) les vers de Dante peignant les files innombrables de pèlerins allant et venant de Saint-Pierre au pont d’Adrien, et du pont à Saint-Pierre pendant la solennité du jubilé. L’auteur continue avec le même enthousiasme : « Et l’étonnement de l’étranger n’est pas diminué quand il considère cette immense quantité de barils de porc, de caques de lard pour lesquelles on ne peut trouver de place sur le plancher des magasins, quelque étendus qu’ils soient, et qui, pour cela, sont éparses sur le rivage, et encombrent tout espace demeuré libre, sur les trottoirs, dans les rues, et même dans les terrains adjacens, ordinairement vides[1]. »

Sans être pénétré de l’admiration empreinte dans l’hymne qu’on

  1. Cincinnati in the year 1851, p. 257.