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américaines ; mais le bon sens américain a compris qu’on ne devait pas appliquer la même forme de gouvernement aux états anciens, dont l’éducation politique avait été faite par cent cinquante ans de lutte avec la métropole et qui avaient une vieille habitude de se gouverner eux-mêmes, et aux états nouveaux, sans éducation politique, sans passé, et qui se formaient d’élémens hétérogènes de toute nature et de toute origine. À ceux-là il fallait une tutelle provisoire qui les préparât graduellement au rôle d’état indépendant et à une complète égalité de prérogatives.

Du reste, la population des territoires de l’ouest s’est si rapidement accrue, qu’ils ont bientôt atteint le chiffre qui les élevait au rang d’état. À ce moment tout a changé. Maîtres d’eux-mêmes, ils se sont donné des constitutions de leur choix, et ces constitutions sont en général très-démocratiques. On ne saurait se dissimuler que le mouvement politique est partout en ce sens. Dans les constitutions de l’Ohio, de l’Indiana, de ï’Illinois, le principe démocratique prévaut beaucoup plus que dans les constitutions des états anciens. La prépondérance de ce principe se manifeste par le peu de durée des fonctions publiques : — dans l’Indiana, celles des représentans ne durent qu’une année ; — par la défiance dont la force armée est l’objet : — dans le même état, les militaires, et même leurs parens, ne peuvent voter ; — par la facilité à réviser la constitution : — tous les douze ans on délibère s’il y a lieu de nommer une convention dans ce but ; — par l’incompatibilité entre les fonctions de représentant et un emploi conféré soit par l’état particulier, soit par le gouvernement central. Dans ces nouveaux états, le divorce est en général très-facile. Dans l’Illinois, il est accordé par le juge sur le témoignage du demandeur, sans en donner connaissance à l’autre intéressé. L’ivrognerie, une absence de deux ans, sont considérés comme des motifs suffisans pour prononcer la dissolution du mariage. Les lois contre les débiteurs sont très-douces, comme il arrive partout où prévalent les influences démocratiques. L’inquiétude ombrageuse des démocraties est poussée si loin dans ces états nouveaux, qu’elle s’attaque même aux associations volontaires. On y a empêché, par exemple, des banques de s’établir, comme si l’on craignait l’oppression de l’intérêt individuel par la ligue des capitaux. De même on y a souvent refusé d’autoriser des associations formées dans un but religieux ou dans le dessein d’établir des écoles ; on leur a dénié le droit de posséder quelques acres de terrain pour y bâtir une église ou y placer un cimetière, toujours par la crainte immodérée de fonder quelque chose de plus puissant que l’individu, par l’effroi de la seule aristocratie qui puisse naître dans un pays d’égalité et de liberté, cette aristocratie collective que constitue légitimement l’association. Arrivé à cet excès, le fanatisme