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Pour les communications à vapeur, la vitesse est assurément une condition très essentielle ; aussi recommande-t-on en général de prendre le point de départ le plus rapproché du pays de destination ; mais cette règle n’est point absolue, elle se combine avec un second élément non moins essentiel, à savoir l’élément de trafic. En d’autres termes, il est nécessaire que le point de départ soit également à portée de la région politique, industrielle, commerciale, qui doit prendre le plus d’intérêt à l’existence de services rapides et qui est appelée à contribuer pour la plus forte part au chargement des paquebots. En 1850, le gouvernement anglais a procédé à une enquête dont les résultats méritent d’être étudiés : il s’agissait de savoir si le point de départ de la ligne des États-Unis pouvait être utilement transféré de Holy-Head, c’est-à-dire de Liverpool, à l’un des ports de la côte occidentale d’Irlande. Tous les argumens que l’on invoque aujourd’hui en France pour faire prévaloir la condition de vitesse furent produits par les délégués des ports irlandais ; cependant, bien que la combinaison soumise à l’examen du comité d’enquête abrégeât évidemment la durée de la traversée entre la Grande-Bretagne et l’Amérique, le rapport conclut, en termes très explicites, au maintien de l’état de choses actuel, dans l’intérêt des relations commerciales dont Liverpool est le centre. De même, c’est de Southampton, non de l’extrémité sud-ouest de l’Angleterre, que partent les paquebots de la compagnie des Indes occidentales, parce que l’on a compris la nécessité de placer le port d’attache à proximité de Londres. De même encore, aux États-Unis, c’est New-York qui est demeuré le principal point d’arrivée et de départ des paquebots ; si l’on ne tenait compte que de la vitesse, Halifax, placé sur la côte de la Nouvelle-Ecosse, se trouverait dans une situation plus favorable. Il semble donc naturel d’appliquer à la création des services que l’on se propose d’établir en France le même raisonnement, et à ce point de vue il convient de rechercher quelle est dans notre pays la région qui peut être considérée comme le foyer le plus actif du commerce transatlantique.

Il serait superflu de démontrer, à l’aide des chiffres, que la navigation de la France avec les États-Unis se concentre presque exclusivement dans la Manche. Quant à l’intercourse avec le golfe du Mexique et les Antilles et avec le Brésil, voici quelle est, d’après les tableaux officiels publiés par l’administration des douanes, la part respective de nos principaux ports. En 1851, le Havre a entretenu avec le golfe du Mexique et les Antilles un mouvement de 70,000 tonneaux (entrée et sortie) ; Marseille, 47,000 ; Bordeaux, 41,000 ; Nantes, 16,000. Le mouvement avec le Brésil et la Plata a employé, au Havre, 36,000 tonneaux ; à Marseille, 34,000 ; à Bordeaux, 12,000 ; à Nantes, 1,000. Le rôle de Lorient et de Cherbourg dans l’ensemble des transactions maritimes est presque insignifiant. — Mais les calculs qui précèdent ne sauraient être encore tenus pour décisifs. En effet, il ne suffit pas de connaître le nombre des tonneaux transportés de part et d’autre ; il faut surtout apprécier la nature des marchandises que ces tonneaux représentent, particulièrement à la sortie de France. Or n’est-il pas constaté que les tissus et les produits de luxe, dont le transport procurerait du fret à la navigation à vapeur, sont expédiés par Le Havre ? Ne sait-on pas également que la plupart des passagers arrivant de l’étranger en France se dirigent vers Paris ? Il en résulte que le