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qui se présente lorsqu’il s’agit de créer en France des lignes de steamers. Hâtons-nous de dire que la réponse à cette question ne saurait plus être douteuse. Il y a douze ans, on discutait encore, et très-vivement, sur les avantages et les inconvéniens des deux systèmes appliqués aux grands travaux d’utilité publique, notamment à la construction des chemins de fer. Le système qui conseillait d’attribuer à l’état l’exécution et l’exploitation des travaux comptait au sein des chambres de nombreux partisans qui ne voyaient dans les compagnies industrielles, commerciales ou maritimes, subventionnées par le trésor, que des corporations égoïstes, vivant d’agiotage et disposées à sacrifier en toute occasion l’intérêt général aux exigences de leur monopole. Aujourd’hui, l’expérience en Angleterre, aux États-Unis, en France même, a souverainement prononcé, et il serait inutile de faire ressortir la supériorité incontestable du système qui a prévalu : on peut admettre comme établie la nécessité de laisser à’ l’industrie privée l’administration des services transatlantiques.

Il est un autre point qui a été l’objet de vives controverses : c’est le mode de concession. Des entreprises aussi vastes seront-elles concédées à l’amiable par le gouvernement (sauf l’approbation du corps législatif pour le règlement de la subvention), ou bien doivent-elles être mises aux enchères et adjugées au soumissionnaire qui offre à l’état les conditions les plus avantageuses ? Il semble d’abord que ce dernier mode, conforme à ce qui se pratique en général pour les approvisionnemens et les fournitures des grands services publics, mérite d’être préféré. En effet, l’équité est satisfaite, puisque chacun a le droit de concourir, et le gouvernement se trouve dégagé de toute responsabilité morale, puisque son rôle se borne à dresser le procès-verbal de l’adjudication ; aussi les esprits ont-ils quelque peine à se détacher d’un système qui concilie, en apparence, toutes les difficultés en même temps que toutes les délicatesses de la concession, et nous voyons qu’en 1847 la commission de la chambre des députés maintenait fermement, par l’organe de M. Ducos, le principe de l’adjudication publique. L’équité qui résulte du concours de tous les capitalistes convoqués aux enchères est assurément une condition très-précieuse ; mais, en pareille matière, ce qui importe le plus, c’est que le sort de l’entreprise soit assuré et que les travaux se fassent. Or le système de l’adjudication ne donne à cet égard aucune garantie. Il peut, au hasard, mettre l’affaire entre les mains de la compagnie la moins sérieuse, qui n’aura point suffisamment étudié le projet ni mesuré ses forces, et qui, après avoir épuisé toutes ses ressources, sera obligée de se déclarer en faillite. Que deviendraient alors les lignes transatlantiques ? Le trésor saisira le cautionnement déposé pour répondre de l’exécution du contrat ; il usera, cruellement peut-être, de son droit, comme il en a usé envers la compagnie Hérout et de Handel, mais l’industrie, le commerce, l’intérêt général en seront-ils plus avancés ? On procédera à une adjudication nouvelle, et, en attendant, les services seront interrompus. Que l’on songe en outre à l’effet moral produit sur les capitalistes qui éprouveraient une légitime répugnance à s’engager dans une opération discréditée par un premier échec !

La concession directe par l’état est, pour le début, le seul mode praticable. Certains esprits méticuleux et défians craindraient-ils que la décision du gouvernement ne fût influencée par des considérations étrangères à l’intérêt public,