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en temps de paix ; mais c’est elle aussi qui donnera la puissance et assurera la victoire en temps de guerre. Ces majestueux vaisseaux dont les immenses voiles et l’artillerie formidable défiaient les vents et l’ennemi, ces frégates élégantes et rapides que les croisières les plus aventureuses entraînaient aux extrémités du monde, les voici qui subissent à regret la loi de la vapeur et réclament le secours de l’hélice ! La révolution est accomplie. L’Angleterre dépense des sommes énormes pour appliquer à sa flotte le mécanisme nouveau qui a modifié si profondément les constructions navales ; les États-Unis l’imitent. La France a compris qu’elle ne pouvait demeurer inactive, et qu’à tout prix elle devait organiser sa force maritime à l’exemple de ses rivaux. À ce point de vue, les services transatlantiques sont indispensables. En effet, aux États-Unis comme en Angleterre, la marine commerciale possède déjà un nombreux effectif de bâtimens à vapeur qui, en cas de guerre, seraient promptement pourvus d’artillerie et trouveraient des équipages tout formés. En France, au contraire, la marine commerciale à vapeur ne compte encore qu’un effectif de 20,000 tonneaux, et ses progrès sont très lents, si on les compare à ceux qu’accomplissent chaque jour les États-Unis et la Grande-Bretagne. Il faut donc que l’état intervienne sans retard pour suppléer à l’insuffisance de l’industrie privée, encourager la construction des navires et des machines, créer un corps de mécaniciens et de chauffeurs. Une somme de plus de 4 millions est inscrite au budget à titre de primes en faveur de la pêche de la morue et de la baleine : ces primes ont pour but de réserver à la marine de guerre une pépinière de matelots. La subvention accordée aux paquebots transatlantiques répondrait à la même pensée. Il n’y a point de dépense qui soit plus légitime, qui puisse être consacrée plus utilement à l’indépendance et à l’honneur de notre pavillon.

Lorsque l’on pense que, dans le projet de loi de 1847, on proposait d’accorder comme maximum une subvention annuelle de 5 millions seulement pour l’établissement de trois grandes lignes aboutissant au Brésil, à la Havane et aux Antilles, on est vraiment surpris d’une si étrange parcimonie. Quant à la compagnie Hérout et de Handel, comment aurait-elle pu remplir ses engagemens pour le service du Havre à New-York, avec une subvention qui consistait dans le simple prêt de 4 paquebots construits pour la marine militaire ? Les énergiques efforts tentés par l’Angleterre et les États-Unis nous enseignent à quel prix reviennent ces vastes entreprises, si l’on veut qu’elles soient sérieuses et solides. Il faut, bon gré mal gré, prodiguer les millions ; autrement, mieux vaudrait s’abstenir, car un subside insuffisant demeurerait complètement improductif, et en peu d’années tout serait perdu, capital et intérêts.

Ainsi les concurrences que nous devons affronter sont déjà très puissantes ; c’est assurément un grand désavantage pour nous d’arriver si tard dans la carrière : cependant cette infériorité est en partie compensée par l’expérience gratuite que nous donnent les succès et même les erreurs des deux peuples qui nous ont devancés.


III

Les services de paquebots transatlantiques seront-ils administrés par l’état ou confiés à l’exploitation de l’industrie privée ? Telle est la première question