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établies par l’Angleterre ont exercé une égale influence sur le commerce et sur le revenu ; elles ont provoqué la production et rechange d’immenses richesses qui, sans elles, n’auraient point trouvé au dehors de débouchés avantageux et certains.

Le chiffre élevé des subventions se justifie encore par ce fait, que les compagnies transatlantiques ne se sont pas bornées à exécuter les clauses onéreuses de leurs contrats, quant à la répartition et à la fréquence des services qu’elles s’étaient engagées à effectuer. Elles n’ont pas hésité à agrandir spontanément leurs opérations, à étendre leur parcours, à augmenter le nombre des voyages, en un mot à donner au public plus qu’elles ne lui devaient. Par exemple, la compagnie Cunard, qui n’est tenue qu’à accomplir un service bimensuel pendant la saison d’hiver, a organisé pour toute l’année des voyages hebdomadaires. De même la Compagnie Péninsulaire a établi plusieurs lignes qui ne sont pas expressément stipulées dans sa charte, et ces accroissemens de dépenses ont été volontairement supportés par les concessionnaires sans que le trésor y contribuât. Il est rare que les choses se passent ainsi dans les entreprises ordinaires, où les résultats demeurent le plus souvent bien au-dessous des promesses inscrites dans les prospectus ; mais dans l’industrie des transports maritimes, une opération en amène sans cesse une autre. Le service d’une ligne a besoin d’être complété par un service supplémentaire ou par un embranchement dont on ne prévoyait pas d’abord l’utilité ; l’obligation de lutter contre une concurrence qui vient exploiter les mêmes marchés impose à la compagnie concessionnaire de nouveaux sacrifices, en sorte que, tantôt pour accroître les bénéfices, tantôt pour sauver le capital engagé, on est constamment entraîné à augmenter le matériel et à améliorer les conditions offertes aux passagers et aux marchandises. Les cahiers des charges ne sauraient tenir compte de ces éventualités qui peuvent surgir à tout moment, et qui altèrent, dans des proportions très sensibles, les clauses fondamentales du bail passé entre une compagnie et l’état. Pour être dans le vrai, il faut apprécier le taux de la subvention, non point en présence des obligations créées par le cahier des chargés, mais en présence des services effectivement accomplis, et alors on remarquera que les sacrifices du trésor sont beaucoup moindres, puisque pour une même somme le public est appelé à profiter de communications plus fréquentes, plus rapides et plus économiques.

Enfin il est une dernière considération qui ne permet plus aux peuples jaloux de leur dignité et de leur influence politique de reculer devant aucun sacrifice pour organiser dans leurs ports le matériel et le personnel nécessaires à l’entretien d’une flotte à vapeur. À mesure que l’Europe se répand sur le monde et promène à travers les mers ses émigrans, son génie et ses richesses, l’élément maritime conquiert une part plus grande dans la constitution militaire des nations : l’Océan est désormais le champ de bataille où se joueront les destinées de l’avenir. Aujourd’hui des millions d’hommes se pressent et se croisent en tous sens jusque dans les zones les plus lointaines : l’échange des marchandises que l’industrie humaine confie à la fortune des mers a atteint des proportions merveilleuses. C’est la vapeur qui, en moins d’un demi-siècle, a opéré ces prodiges : c’est elle qui a rapproché les rivages que Dieu semblait avoir séparés par des distances infranchissables, c’est elle qui resserre les.liens de la civilisation et favorise la prospérité commerciale