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être les plus avantageuses, et qui présentent les garanties les plus solides. S’il réussit à s’entendre avec une ou plusieurs compagnies, il arrive devant le pouvoir législatif avec un contrat en bonne forme, exécutoire immédiatement après le vote. La plupart des compagnies anglaises et américaines ont été constituées ainsi. Comment s’étonner que les projets si péniblement élaborés en France n’aient eu aucune suite ? On commençait par où l’on aurait dû finir, et l’on ne votait que des abstractions.

Les inconvéniens de cette méthode étaient si flagrans, qu’ils ne pouvaient échapper aux esprits désintéressés ; mais en face des prétentions contradictoires qui s’agitaient bruyamment autour des projets de loi, ils étaient devenus presque irrémédiables. Chaque port voulait posséder au moins une ligne de paquebots, comme chaque bourg voulait avoir un tronçon de chemin de fer. De là, au sein de l’assemblée élective, des luttes ardentes qu’entretenait l’animosité des passions locales. Le gouvernement, craignant de se compromettre vis-à-vis de tel ou tel port, demeurait impassible ou se bornait à prêcher la conciliation. On s’attachait alors à imaginer des transactions, des combinaisons mixtes qui fussent de nature à apaiser les querelles intestines et à satisfaire aussi équitablement que possible les prétentions rivales. L’intérêt public disparaissait sous les exigences des localités, représentées à la fois dans le ministère, dans le parlement, dans la presse. De guerre lasse, on partageait entre les principaux ports les lignes transatlantiques : Marseille, Bordeaux, Nantes, Le Havre, étaient appelés à prendre part à la distribution des services. Les passions se calmaient, les ports se félicitaient de voir sanctionner par la législature leur droit aux paquebots. Quant aux compagnies improvisées pour les besoins de la cause sur les rives de la Méditerranée et de l’Océan, elles avaient cessé d’exister au moment même où le vote de la loi les conviait à se mettre à l’œuvre et à réaliser les merveilles de leurs prospectus.

Aussi, dans les conditions où ont été examinées, avant 1848, les impositions relatives à l’établissement des paquebots, l’échec était-il à peu près certain. En premier lieu, la question était nouvelle en France. Bien que l’on désirât de tous côtés la création des services transatlantiques, les esprits n’étaient pas encore suffisamment éclairés sur les moyens d’exécution. De plus, les discussions tombaient en quelque sorte dans le vide, puisqu’elles se bornaient à la rédaction de contrats imaginaires, dont l’acceptation n’était garantie par aucun engagement sérieux. Enfin le gouvernement de cette époque, assuré d’une majorité considérable dans les luttes politiques, reculait trop aisément devant la responsabilité que lui imposait la direction des intérêts matériels. Il s’attachait surtout à ne pas se créer d’embarras, à ne point exciter d’opposition trop vive, système peu habile, car il n’est pas de grande mesure qui ne froisse et ne sacrifie même des intérêts puissans, et il faut bien qu’un gouvernement se résigne à ne pas contenter tout le monde.

Ces erreurs du passé nous apportent d’utiles enseignemens. Aujourd’hui, la situation paraît beaucoup plus favorable pour le succès des paquebots transatlantiques. On connaît mieux l’ensemble et les détails de ces opérations gigantesques dont l’Angleterre et les États-Unis ont si merveilleusement perfectionné le mécanisme. Le gouvernement peut tirer parti des expériences faites par les nations rivales. À l’intérieur, aucun obstacle, aucune opposition