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du gouvernement pour la construction et l’armement des navires affectés aux différens services.

Cette loi ne fut pas exécutée. Il ne se présenta point de compagnie sérieuse qui entreprît de se charger de la ligne du Havre à New-York, et, pour les autres lignes, le ministère du 29 octobre, qui remplaça l’administration de M. Thiers, ne crut pas devoir adopter les calculs sur lesquels avaient été basées les dispositions de la loi. Une commission spéciale, embarquée à bord du Gomer (1842 à 1844), étudia les itinéraires et dressa le devis des recettes et des dépenses probables de l’opération. Près de cinq années s’écoulèrent avant que le gouvernement fit connaître aux chambres sa pensée définitive, et pendant ces cinq années, l’Angleterre, aussi prompte à exécuter qu’à entreprendre, doublait le nombre de ses paquebots. Ce fut seulement le 29 mars 1845 que le ministre des finances soumit à la chambre des députés un nouveau projet de loi. D’après l’exposé des motifs, la loi votée en 1840 plaçait le trésor en face d’une dépense certaine de 12 millions par an et d’un revenu éventuel de 4 à 5 millions : les progrès de l’art nautique, la substitution du fer au bois dans les constructions navales, l’emploi de l’hélice et des chaudières tubulaires, avaient complètement modifié les conditions des services transatlantiques : la vitesse étant devenue l’élément principal de succès pour les lignes de bateaux à vapeur, les navires construits par l’état et destinés à porter une forte artillerie en cas de guerre ne pouvaient plus être avantageusement employés au transport des correspondances et des passagers. D’ailleurs, plusieurs compagnies s’étant offertes pour exploiter toutes les lignes à l’aide d’une subvention, il paraissait préférable de faire appel à la concurrence des capitaux plutôt que d’imposer à l’état les frais et les embarras de l’entreprise. En conséquence, le ministère proposait de concéder à des compagnies quatre grandes lignes allant à Rio-Janeiro, aux Antilles, à la Havane et à New-York, ainsi que deux lignes secondaires aboutissant à la Plata et au Mexique ; le projet de loi s’abstenait de déterminer les points de départ et les conditions financières des différentes concessions : il demandait pour le ministre des finances un véritable blanc-seing, il prévoyait toutefois le cas où les compagnies ne seraient pas en mesure d’exploiter toutes les lignes : l’état devait alors se charger, aux conditions fixées par la loi de 1840, des services non concédés.

Telle était l’économie du projet de loi de 1845. Le ministère avait eu le tort très-grave de présenter son système trop tardivement ; mais ce système était plus simple, plus praticable que celui de 1840. Il laissait le ministre libre d’agir suivant les circonstances et dans l’intérêt général, sans lui créer à l’avance des obligations qui pouvaient, le cas échéant, ajourner ou même arrêter complètement la signature d’un contrat sérieux. Cependant la commission qui fut chargée, à la chambre des députés, d’examiner le projet, n’admit point d’abord les propositions du gouvernement. Dans un premier rapport rédigé par M. Laujuinais, elle exprima l’avis que le pouvoir parlementaire ne devait pas abandonner le droit de déterminer le point de départ de chaque ligne, et elle maintint formellement les désignations qui avaient été déjà consacrées par la loi de 1840. Plus tard, il est vrai, dans un rapport supplémentaire de M. Estancelin, elle revint sur sa première opinion et se contenta d’exiger que l’une des lignes à concéder fût réservée à Marseille ; mais l’ensemble du projet, amendé par elle, se ressentait trop visiblement de cette