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font les révolutions, d’habitude, n’en profitent guère. Quels bénéfices ont valus les journées de mars et d’octobre à tant d’illustres mécontens qui, las de clabauder inutilement dans les salons de l’aristocratie viennoise contre l’autorité caduque du prince de Metternich, donnèrent la main à la révolution pour renverser un pouvoir dont le pire tort à leurs yeux était de vivre trop longtemps pour leurs ambitions ? Quels avantages ont retirés de l’insurrection milanaise les Casati, les Borromeo, les Litta, dupes aujourd’hui de lord Palmerston, demain jouets de Mazzini, soulevant au nom de l’indépendance italienne leur pays, que d’un côté guettaient le protectorat britannique et de l’autre le communisme ? Aux époques de révolutions, les hautes classes s’agitent, et les escamoteurs les mènent. Où les conduisent-ils ? Nous le savons tous ; mais ce que nous savons aussi, c’est que l’anarchie n’a qu’un jour, et qu’alors, un extrême remplaçant l’autre, aux arbres de la liberté, aux drapeaux rouges, aux tumultueuses assemblées, succèdent l’état de siège, la suppression de toutes les anciennes garanties constitutionnelles et le régime militaire, plus sévèrement exercé par une armée victorieuse, qui peut-être se souviendra longtemps encore de tant d’ignobles traitemens dont elle fut l’objet.

« Ce siècle n’est point mûr pour mon idéal ! » s’écrie dans la tragédie de Don Carlos le marquis de Posa. Cette parole du héros de Schiller ne s’applique-t-elle pas à ce rêve sublime de l’Italia unita, pour lequel, à diverses périodes, ces peuples d’une même origine, d’une même langue, d’une même littérature, semblent se passionner, et qui, trois fois en moins de cinquante ans, n’aboutit qu’à d’insignes avortemens ? 1820, 1831, 1848, dates faites pour décourager les plus intrépides ! Le libéralisme aventureux d’un prince de la maison de Carignan, l’avènement d’un pontife patriote, ravivent par intervalle sur cette terre des morts le sentiment de sa grandeur passée, et la voilà debout ; mais bientôt les dissensions éclatent, et chaque parti commence à tirer à soi. Tandis qu’invinciblement l’esprit municipal anime une ville contre l’autre, les divers souverains, peu jaloux de fonder la suprématie de tel ou tel confédéré, ne tardent pas à voir leur zèle se refroidir. Peu à peu les armées, ou rappelées ou vaincues, disparaissent de la scène que les intrigans et leurs mercenaires occupent seuls un moment, et d’où ils sont chassés par la force des baïonnettes. Triste dénoûment, et par trop prévu, sur lequel le rideau tombe ! Après quoi tout reprend son cours dans l’univers pacifié, et, personne n’ayant rien appris ni rien oublié, les princes s’en retournent à leurs abus, les populations à leur indifférence, les démagogues à leurs éternelles conspirations.


BLAZE DE BURY.