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Temeswar ni plus ni moins de haine que pour tel ou tel autre membre du tribunal militaire qu’il présidait à cette heure. Le type poétique ne s’était, si l’on me passe l’expression, pas encore dégagé : comme l’Attila de la légende, le Haynau flagellum Dei n’a pris naissance que plus tard, dans l’imagination des rapsodes du comité de Londres. Quant à l’affaire de Brescia, tout porte à croire que les choses se passèrent là comme ailleurs, et que si la répression fut terrible, c’est que la violence de l’attaque ne permettait pas de moyens termes. Voyons comment s’explique à ce sujet un homme d’une loyauté militaire partout reconnue, le général comte Schoenhals, esprit impartial, mesuré, politique, aussi incapable d’amnistier chez un compagnon d’armes un acte de félonie que de le commettre lui-même :


« La prise de Brescia fut sanglante et nous coûta cher ; le régiment de Baden, à lui seul, eut douze officiers tués et plus de sept cents hommes tués ou blessés ; la perte des insurgés n’a jamais été connue officiellement ; toutefois elle dut être énorme, si l’on réfléchit à l’acharnement de la résistance et à la fureur avec laquelle nos soldats combattaient. Cette fureur avait été poussée à son comble par les atroces traitemens dont furent victimes, de la part des insurgés de Brescia, deux de nos blessés qui tombèrent entre leurs mains. On ne saurait imaginer rien de plus sauvage que l’anarchie qui régnait dans la ville ; nos soldats et nos officiers, que l’insurrection avait surpris hors de la citadelle, furent massacrés sans rémission, nos malades égorgés dans l’hôpital ! Quand nous entrâmes dans Brescia, nous trouvâmes dans les prisons de la préture des cadavres des nôtres déchiquetés comme par la main d’un peuple de cannibales. Personne plus que nous ne déplore ces journées de carnage ; mais il faut dire aussi que la ville, par son incroyable levée de boucliers au moment où tout se pacifiait autour d’elle, par ses manœuvres anarchiques et ses détestables cruautés envers nos soldats, avait mérité de recevoir un châtiment exemplaire, et que notre justice aurait pu être plus sévère, sans la discipline de nos troupes et la modération du général Haynau, si indignement décrié depuis. »


Tandis qu’après la soumission de Livourne, ce foyer de tous les troubles de la Toscane, Florence s’ouvrait paisiblement au général d’Aspre, Wimpffen, chargé de rétablir l’ordre dans la Romagne, s’avançait à la tête de sa division. Dans ce malheureux pays, aucune espèce d’autorité n’avait survécu. Du pape, naturellement il n’était plus question ; mais pouvait-on appeler du nom de république le gouvernement de quelques milliers de condottieri de toutes les nations, transportant de côté et d’autre leurs nomades colonnes, et sous la conduite de chefs tels que les Garibaldi, les Zambeccari, les Montanini, levant des taxes odieuses, pressurant les populations, et les forçant, le couteau sur la gorge, à soutenir d’horribles sièges, plus barbares cent fois eux-mêmes et plus détestés que les prétendus tyrans contre lesquels ils prêchaient la croisade ? En quelles effroyables