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à donner le signal d’un assaut qui semble impraticable, quand vers midi une vive fusillade se fait entendre du côté de Djaga-Raga. Le colonel de Brauw a débordé les positions de l’ennemi. Ce jeune et héroïque officier n’a pas craint, pour accomplir sa mission, d’engager la colonne qu’il commande dans le lit du Sangsit. Pendant deux heures et demie, les troupes hollandaises ont cheminé en silence au fond d’un précipice dont les parois taillées à pic atteignent une élévation de soixante-quinze mètres. Si l’ennemi eût découvert ce mouvement, il eût anéanti la division du colonel de Brauw à coups de pierres; mais le succès a couronné une audace dont les fastes de la guerre offrent peu d’exemples. La colonne hollandaise escalade homme par homme le bord du ravin, et vient se ranger en bataille sur le plateau avant que les Balinais aient pu soupçonner sa présence. Ils aperçoivent enfin sur leurs derrières ce corps de troupes qui semble tombé du ciel. L’action s’engage : le colonel de Brauw fait enlever au pas de course les redoutes qui protègent la gauche de l’ennemi. Le général Michiels, de son côté, porte ses troupes en avant ; il trouve les abords des fortifications hérissés d’obstacles. Les Hollandais sont encore une fois repoussés avec perte. Ce succès momentané enflamme le courage des Balinais, qui veulent tenter une double sortie et reprendre les positions qu’ils ont perdues. Ils sont accueillis par des charges vigoureuses, et poussés, la baïonnette dans les reins, jusque dans leurs retranchemens. Toutefois ils sont bloqués plutôt que vaincus, car on n’a pu réussir encore à entamer leur position, et déjà le général Michiels redoute les lenteurs d’un siège. Il comptait sans l’intimidation des Balinais, qui prennent le parti, dès la nuit close, de commencer leur mouvement de retraite. Le colonel de Brauw croit distinguer des masses confuses qui, défilant le long des lignes ennemies, se portent à travers champs du côté de Djaga-Raga. Il fait éveiller ses troupes, et marche sur les redoutes avant qu’elles aient été complètement évacuées. Attaqués à l’improviste, les Balinais se battent en désespérés; une centaine d’hommes est passée au fil de l’épée. Au bruit de la fusillade, le corps du général Michiels s’est aussi porté contre les fortifications. L’ennemi fuit de toutes parts, et les premiers rayons du jour apprennent aux Hollandais que leur victoire est complète.

Avec les lignes formidables que l’armée hollandaise venait d’enlever, le gousti Djilantik voyait tomber le royaume de Bleling. Echappé au carnage, il avait pris pendant la nuit, avec le rajah de Karang-Assam, la route de cette dernière principauté, où il se flattait de trouver encore les moyens de prolonger la guerre ; mais la consternation était générale dans l’île : les soumissions arrivaient de toutes parts, et le succès n’était plus douteux pour les Hollandais. Il fallait