Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/702

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Oglio, se doutant bien que son offre serait repoussée ; mais à cette proposition l’ennemi, dans sa pensée, répondrait par une contre-proposition, et, comme ce qu’on voulait avant tout c’était gagner du temps, on arriverait de la sorte au but qu’on se ménageait. Du premier coup d’œil, le prince Schwarzenberg vit de quoi il s’agissait, et, repoussant avec sa superbe ordinaire les ouvertures en question, il posa carrément la ligne de l’Adda, plus l’évacuation de Venise, de Peschiera, Rocca d’Auto, Pizzighetone, Modène et Parme, plus la retraite de la flotte, la levée du blocus de Trieste, plus enfin la mise en liberté et le renvoi immédiat au quartier-général autrichien de tous les officiers ou fonctionnaires illégalement retenus. Ces conditions, si dures qu’elles semblent, Charles-Albert commit une faute grave en ne les agréant point, car son refus amena l’armée autrichienne sous les murs de Milan, et c’était bien sur quoi l’altier Schwarzenberg avait compté.

À peu de jours de là, Radetzky, en marche vers Milan, apprenait que l’envoyé d’Angleterre à la cour de Turin, sir Ralph Abercromby, désirant lui parler, attendait aux avant-postes qu’un officier d’état-major vînt l’aider à franchir les colonnes de l’armée impériale. Si l’on s’en souvient, à cette époque les pérégrinations politiques du comte Minto avaient fort émotionné l’Italie, et il s’en fallait certes de beaucoup que la figure d’un agent anglais fût bien venue des officiers de Radetzky. Cependant le maréchal ne crut pas devoir à cette occasion se départir de ses habitudes de bonhomie et de politesse. Il envoya donc le général Walmoden chercher à l’avant-garde le négociateur britannique, et, quand sir Ralph descendit de cheval, il l’accueillit de son air le plus empressé, et lui parla de la pluie et du beau temps en homme qui s’évertue de son mieux à divertir son monde. Seulement, l’ambassadeur ayant voulu, après mainte digression, aborder un nouveau terrain et causer un peu des affaires pendantes : « Oh ! pour cela, voyez-vous, moi, je n’y comprends rien ! s’écria-t-il en coupant court à la conversation. La diplomatie et les diplomates m’ont toujours été lettre close ; mais tenez, voici Schwarzenberg, chapitrez-le tout à votre aise ; c’est votre homme ! » Schwarzenberg, c’était, nous l’avons dit, sa réponse ordinaire en pareil cas, et le malin vieillard s’esquiva tout joyeux, laissant nez à nez les deux augures. Le prince Félix détestait cordialement lord Palmerston, et cela de vieille date. Avant de se retrouver sur le terrain de la politique, ces deux hommes d’état, tous deux hommes de plaisir et passés maîtres en l’art de plaire, s’étaient rencontrés dans un champ-clos moins vaste sans doute, mais non moins brûlant et périlleux, et peut-être que si l’on essayait de remonter à l’origine de cette implacable animosité qui faillit compromettre la paix du monde, on la