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un instant de repos. Intrépide, aventureux, doué du double génie de la guerre et de l’organisation, il avait su entraîner à sa suite les gouverneurs-généraux effrayés et la diplomatie hésitante. Les soldats l’adoraient, et les Malais, qui le trouvaient partout à la tête des troupes, soit qu’il fallût protéger les frontières des possessions hollandaises, ou forcer dans leurs dernières retraites les bandits de l’intérieur, les Malais lui avaient donné le surnom de kornel madjang (le colonel au cœur de tigre)[1]. M. de Rochussen le fit venir de Padang, où il s’occupait d’organiser les provinces que son épée avait conquises, et lui confia le soin de venger l’honneur des armes néerlandaises.

Les huit états de Bali coalisés contre la Hollande pouvaient mettre sur pied quatre ou cinq mille fusils et plus de quatre-vingt mille lances; mais, incertains du point sur lequel serait dirigée la première attaque, ils n’avaient rassemblé que quinze ou vingt mille hommes à Djaga-Raga. Ce fut là que le général Michiels résolut de porter les premiers coups. Cette position, devant laquelle avaient échoué l’année précédente tous les efforts des troupes hollandaises, avait été rendue, par les soins du chef de la ligue balinaise, le gousti[2] Djilantik, régent de Bleling, plus redoutable encore. Des bastions et des retranchemens percés de meurtrières, garnis de canons et de pierriers, précédés de chausses-trappes, ou protégés par des haies de bambou épineux, s’étendaient, sur un développement de plus d’un kilomètre, entre deux ravins au fond desquels coulaient le Sangsit et le Bounkoulan. Le général Michiels partagea ses troupes en deux colonnes. Avec la colonne principale, il marcha droit à l’ennemi. Il chargea un brave officier, le lieutenant-colonel de Brauw, de tourner la position qu’il allait attaquer de front. Le 15 avril 1849, dès six heures du matin, les deux divisions de l’armée hollandaise se mettent en marche; à sept heures elles s’étaient perdues de vue. Le général Michiels arrive, sans avoir été inquiété, en face des ouvrages ennemis; il les fait canonner par ses pièces de campagne et harceler par un bataillon déployé en tirailleurs. Les Balinais répondent par un feu violent de toutes leurs pièces. L’armée hollandaise compte bientôt plus de cent hommes hors de combat ; elle se trouve en présence d’un ennemi invisible qu’elle ne peut atteindre qu’en jetant des obus ou des grenades par-dessus les retranchemens derrière lesquels il se cache. Malgré ses pertes, elle gagne cependant du terrain; ses batteries ne sont plus qu’à cent quatre-vingts mètres du bastion qu’elles foudroient. Malheureusement, les boulets s’enfoncent dans les boulevards de terre, que soutient un double rang de troncs d’arbres, sans y pratiquer la moindre brèche. Le général Michiels hésite

  1. En l’absence du lion, inconnu dans la Malaisie, le tigre est devenu, pour les populations de l’archipel indien, l’emblème du courage et non pas celui de la férocité.
  2. Gousti, noble, d’origine princière.