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lentement ; celles qui arrivaient étaient sinistres. Jours d’épreuve et d’amertume pour ce vieillard de quatre-vingt-un ans ! Souvent on le voyait assis la tête dans ses mains, silencieux, morne, abattu. Qu’un intendant militaire entrât alors, avec quelle vivacité soucieuse il l’interrogeait sur l’approvisionnement de l’armée ! Bon nombre d’écrivains ont voulu voir un système dans ce qui fut, à cette première époque de la guerre d’Italie, la nécessité absolue du moment ; de là ce caractère temporisateur, cette physionomie de Fabius Cunctator, faussement attribués à un homme dont le génie est bien plutôt la décision, l’audace, l’intrépidité du coup de main. Quand il ne procède au début qu’avec tant de mesure et de circonspection, quand il affecte de ne rien livrer aux chances d’une rencontre, c’est qu’alors le vieux soldat, sur qui pèse une responsabilité si énorme, sent qu’il ne peut donner aux opérations militaires proprement dites que la moitié de son application : tandis que d’un œil il observe Charles-Albert et le tient à distance, de l’autre il regarde Vienne, ce cœur de l’empire où la révolution lui suscite des ennemis non moins menaçans et non moins acharnés. La guerre d’Italie se divise, on le sait, en deux parts, dont la première va jusqu’à l’armistice de Milan et remplit l’espace de plus d’une année, et dont la seconde, enlevée en dix jours, marche à pas de géant de la reprise des hostilités à la bataille de Novare. Rien qui se ressemble moins que ces deux campagnes. D’un côté lenteurs, attermoiemens, prudence ; de l’autre, vigueur, entraînement, soudaineté, inspiration dans l’attaque, imprévu dans l’offensive ! Charles-Albert y fut pris, ou plutôt le général Chrzanowsky, car à Novare Charles-Albert ne commandait pas ; il ne fit que se battre en soldat, en héros. Nul doute que le souvenir de ses temporisations précédentes n’ait merveilleusement servi la fortune de Radetzky à cette période définitive. Comme la première fois, il battit en retraite ; mais cette retraite n’était plus, en 1849, qu’une feinte habile pour tromper l’ennemi. Le général polonais qui dirigeait les forces piémontaises ignorait encore quelle direction il avait prise, que Radetzky, se retournant, fondait sur lui comme un lion et l’écrasait. « Jamais, nous disait un jour le maréchal à Vérone, je n’ai tendu un piège à Charles-Albert sans qu’il y soit tombé tout aussitôt ! »

Radetzky, toujours sans nouvelles du corps de Nugent, était donc occupé à se fortifier dans Vérone, lorsque le 6 mai 1848, enhardi par son heureux passage du Mincio et les succès de Pastrengo, se voyant à la tête d’une armée qui chaque jour grandissait en nombre, tandis que le dénûment, les blessures et la contagion diminuaient celle de ses adversaires, comptant bien aussi quelque peu sur l’insurrection viennoise qui forçait à cette heure même l’empereur à se réfugier dans le Tyrol, — Charles-Albert, résolu d’en finir, vint assaillir le général