Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/669

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bouguis ou Arabes. Le gouvernement hollandais a voulu, en temps opportun, limiter le chiffre de ces turbulens auxiliaires. Sous l’administration de M. Duymaer van Twist, une ordonnance du conseil des Indes a interdit jusqu’à nouvel ordre, aux habitans du territoire céleste, l’entrée d’une île où leur industrie offrait moins d’avantages que leurs pratiques usuraires et leurs brigues sournoises ne présentaient de dangers.

Il existe à Batavia trois populations distinctes. On y peut reconnaître aussi trois villes plutôt que trois quartiers séparés. Les Chinois, nous l’avons dit, au nombre de 32,000, habitent le bord de la mer. Une ceinture de villages, dans lesquels vivent agglomérés 240,000 Javanais, enveloppe la ville européenne. Cette dernière compte à peine 3,500 habitans, et embrasse cependant un immense espace. Le quartier fondé par le général Daendels a étendu un de ses bras vers la mer, l’autre vers les montagnes. Weltevreden, par ses dépendances, touche d’un côté au faubourg méridional de la ville basse, de l’autre au quartier javanais de Meester-Cornelis, élevé de trente-trois mètres au-dessus du niveau de l’océan et distant de six milles environ du rivage. Molevnliet, Noordwyk, Ryswyk, Koning’s-Plein, Weltevreden, Gounong-Saharie, composent moins une ville qu’un parc sans limites, entrecoupé de mille bouquets d’arbres, de longues avenues remplies d’ombre, de prairies, de cours d’eau, de délicieux pavillons cachés par la main des fées au milieu de touffes de verdure. Les places ménagées au centre de cet échiquier fantastique ne sont point d’arides déserts d’asphalte ou de granite. Ce sont de vastes pelouses dont les bœufs du Bengale, au garrot renflé comme la bosse du bison, viennent tondre en mugissant l’herbe épaisse et courte. Des allées couvertes par les grands rameaux du djatti, du waringin ou du tamarinier, encadrent d’une double enceinte ces tapis de gazon. De brillantes cavalcades errent chaque matin sous leurs ombrages, d’élégantes calèches traversent rapidement les rues voisines, et de légères pirogues descendent, emportées par le courant, les canaux qu’alimente le Tji-Liwong. La ville neuve de Batavia est, à mes yeux, la plus ravissante création qu’ait enfantée la fantaisie humaine. Une exquise propreté en complète la grâce et en fait valoir les plus minutieux détails. Moins de recherche présidait à l’entretien des carrés de tulipes d’Haarlem, et les jardins du Généraliffe auraient paru sans poésie à côté de semblables merveilles. Un magnifique résultat a couronné cette œuvre intelligente. Batavia a cessé de dévorer sa population. Nulle part sous les tropiques, la mortalité n’est moins considérable que dans cette ville, où jadis la vie d’un Européen ne durait souvent qu’une saison. Sans doute on y est encore exposé aux maladies qu’amène l’influence débilitante