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mieux. — 24. Jour pluvieux, sombre ; mon humeur de la même teinte. Souvent je désirerais trouver une bonne cause pour laquelle je pusse mourir. »

On n’a ici que la moitié du tableau de la vie de Moore à la campagne. Ses relations avec lord Lansdowne défrayaient une grande partie de son temps. Lord Lansdowne avait consenti à être le parrain du fils de Moore, et s’attachait tous les jours davantage le poète par les témoignages de sa noble amitié. « J’ai vu lord Lansdowne, écrit une fois Moore sur son journal, affectueux et aimable comme d’habitude. Je trouve qu’il gagne les cœurs de la bonne façon, piano è sano. » Il y avait toujours société nombreuse à Bowood, recrutée dans l’aristocratie ou parmi les hommes éminens de la politique et de la littérature. Moore y était souvent en voisin. Il y faisait une moisson d’anecdotes sur la politique du temps de Sheridan. Ses journaux reproduisent une foule de conversations politiques ou purement littéraires, dont les interlocuteurs, outre lui et lord Lansdowne, sont des hommes comme Dumont de Genève, Dugald Stewart, sir James Mackintosh. Ces entretiens roulent sur des sujets trop particuliers à l’Angleterre pour qu’on en puisse détacher des fragmens ; mais à la variété qui les anime, à l’élévation du ton et à la finesse des aperçus, on comprend le charme et l’utilité de cette vie de société large et libérale. À Londres, Moore avait Holland-House pour lui tenir place de Bowood. Il y avait plus de mouvement, plus de brillant, plus de grâces légères chez lord Holland que chez lord Lansdowne. Moore y était accueilli sur le même pied d’intimité : il y avait toujours sa chambre et son couvert. Il a esquissé dans son histoire de Sheridan quelques traits de la figure de lord Holland qui montrent bien ce qui l’attirait lui-même dans l’heureuse nature du neveu de Charles Fox. En fait d’opinions, droiture, amour de la justice, esprit de tolérance qui ne savait s’irriter que contre la tyrannie ; dans le caractère une simplicité ouverte et rayonnante, un accueil si riant, qu’il faisait dire à Rogers : « Quand lord Holland vous aborde, on dirait qu’il a toujours quelque bonne nouvelle à vous annoncer ; » comme causeur, une étendue de connaissances, une façon d’être au courant des choses et une vivacité d’esprit qui touchaient à tout, dit Moore, et qui ne touchaient à rien, sans l’embellir ; pour mieux peindre la conversation de lord Holland, Moore empruntait une image de Dryden : « C’est le matin de l’esprit, disait-il (the morning of the mind), produisant successivement au regard de nouveaux objets, de nouvelles images, et répandant sur chaque chose une fraîche lumière. » Les journaux de Moore apportent de nouvelles preuves de l’influence exercée par la société que lord Holland réunissait chez lui sur la politique et la littérature anglaises. La maison de lord Holland fut en