de la caricature. Une bonne charge du post-bag est la lettre du prince-régent à son compagnon de plaisir, le comte d’Yarmouth. Une autre bouffonnerie amusante est la lettre de congratulation écrite par un officier du prince à un M. Gould Francis Leckie. Ce M. Leckie avait eu l’extravagance de faire un livre en l’honneur du pouvoir absolu. Entre autres excentricités, cet original conseillait aux rois de l’Europe, pour éviter les embarras des mariages princiers, de prendre exemple sur le grand-turc et d’envoyer chercher leurs femmes en Géorgie et en Circassie. La Famille Fudge était de la même veine que la petite poste, c’était aussi une satire épistolaire. Les ridicules des Anglais à Paris formaient la broderie ; le fond était la politique anti-libérale du gouvernement anglais de ce temps-là, présentée, appréciée, défendue en charge par des adeptes abjects, grossiers, grotesques de cette politique. Le prince-régent faisait encore les frais de cet amusant persiflage. Lord Castlereagh et lord Sidmouth étaient criblés de pointes. Pendant que Moore travaillait à la Famille Fudge, lady Donegal lui envoya une liste de personnes quelle le priait d’épargner. « Votre liste m’embarrasse beaucoup, lui répondait Moore ; il faut étouffer au berceau de jeunes épigrammes. Vos noms cependant seront épargnés, excepté lord Sidmouth. » Lord Sidmouth (plus connu en France sous le nom de M. Addington, le ministre de la paix d’Amiens) était un bonhomme assez faible de caractère et de talent ; mais Moore ne pouvait lui pardonner l’odieux réseau de police dans lequel il avait essayé de garrotter la libre Angleterre. « Il serait contre nature, disait-il, que le patron des espions n’eût pas un trait ou deux. Je vous promets de ne pas l’appeler « vieille pécore, » et c’est tout ce que ses amis les plus chauds peuvent attendre de mieux pour son compte. » Un des gais morceaux de la Famille Fudge est en effet un parallèle burlesque de Tibère et de lord Sidmouth, Tib et Sid, comme dit Moore, où les rimes en tib et en sid se croisent et tombent de la façon la plus comique.
Nous avons déjà vu Moore plusieurs fois en contact avec la politique : dans sa vie personnelle, lorsqu’il refuse par esprit d’indépendance la position de lauréat et l’intervention de lord Moira en sa faveur auprès des ministres ; dans ses œuvres, lorsque par les Mélodies irlandaises il devient l’organe et le poète d’une nation opprimée, et par ses satires livre au ridicule les sottes et basses tendances d’un gouvernement rétrogade. La tenue politique de Moore est un des beaux côtés de son caractère, et j’ajouterai une des harmonies de son talent, car nous ne savons que trop que l’esprit détonne et que le talent se fausse là où manque le caractère. Moore était libéral ; quoique Irlandais, il n’allait pas au-delà. Il était de ces esprits et de ces cœurs fermes, rares natures, il est vrai, qui dans nos temps