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jouissances de l’esprit, l’admiration ; temps, hélas ! bien éloignés de nous. Déjà un ami de Moore, sir James Mackintosh, en prévoyait alors le déclin : « L’âge de l’admiration va finir, » disait-il avec un poétique regret. Moore eut le bonheur de venir assez tôt pour profiter de cette veine, et il était digne de ce bonheur, qui exaltait son émulation : « Vous ne pouvez concevoir, écrivait-il à sa mère, à quel point tout le monde ici est bienveillant pour moi. Mon voyage à Londres me fera tout le bien du monde en m’inspirant plus de confiance en moi et en me montrant la position élevée que j’occupe. » Les témoignages de son succès lui arrivaient de toutes parts. Un mois après la publication, la première édition de Lalla-Rookh était épuisée. Une jeune fille de Bristol, qui ne disait pas son nom, lui envoyait, comme preuve de son admiration pour Lalla-Rookh, un billet de 3 livres sterling. Dans un dîner public, M. Croker, alors secrétaire de l’amirauté, le même qui aujourd’hui encore dans sa vieillesse rédige avec une puissante verdeur la politique de la Quarterly Review, M. Croker portait la santé de Moore et s’enorgueillissait de l’amitié du poète plus que de celle de Peel et du duc de Gumberland. Ses amis influens offraient à Moore la direction d’un journal politique qu’il avait la prudence de refuser. Un libraire voulait fonder avec lui une revue, et Moore avait encore le bon esprit d’échapper à cette proposition. Un soir, chez lady Besborough, lord Lansdowne engagea Moore à fixer sa résidence près de son château de Bowood. Moore accepta cette invitation avec empressement ; mais avant de s’établir aux environs de Bowood, il fit un petit voyage à Paris.

Il passa en France deux mois de l’été de 1817. On ne trouve dans sa correspondance d’autre trace des impressions de ce court voyage que cette phrase : « Paris est le lieu le plus délicieux que j’eusse pu rêver au monde. En vérité, si je puis y décider Bessy, mon intention est de venir vivre ici deux ou trois ans. » En écrivant ces mots, le pauvre Moore ne pensait pas qu’une triste nécessité, au lieu d’une attrayante fantaisie, le forcerait bientôt à réaliser son projet. Le séjour de Moore en France lui fournit ce qu’il fallait de couleur locale pour un pamphlet politique en vers comiques qu’il intitula : la Famille Fudge à Paris. C’était le second essai de Moore en ce genre. Il avait publié quelques années auparavant de petites satires auxquelles le public avait mordu de bel appétit. Cela s’appelait « la petite poste, » the two penny post-bag. C’était une collection de lettres rimées en parodie, où Moore, mal déguisé sous le pseudonyme de Tom Brown, faisait parler certains personnages tories du temps. Le prince-régent, le même à qui Moore avait dédié son Anacréon, et avec lequel il avait fait de petits soupers, mais dont les whigs ne virent plus que les ridicules et les vices lorsqu’il les eut abandonnés, y avait les honneurs