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aimait toujours, par exemple, à écrire à sa mère des nouvelles de ce genre : « J’ai dîné chez lord Holland mercredi, et hier chez le vieux Sheridan, qui nous avait remis de jour en jour comme si nous eussions été ses créanciers. Nous avions hier lord Lauderdale, lord Erskine, lord Besborough, lord Kinnaird, etc. » Et dans la même lettre il ajoutait : « .J’ai enfin loué une petite chambre à deux milles de la ville, où je pourrai m’aller réfugier de temps en temps pour travailler la matinée. C’était absolument nécessaire, si je ne voulais mourir gaiement et élégamment de faim à Londres. » Ces doutes et ces déchiremens finirent par le mariage.

Moore était de ces natures faciles et généreuses qui ne se prennent au sérieux de la vie que lorsqu’une affection se rencontre avec un devoir pour leur faire aimer le lien qui les y attache. Il avait en lui, comme le prouvent ses lettres à sa mère, la fleur suave du sentiment de la famille. Son amie, miss Godfrey, sa chère Marie, comme il l’appelait, lui écrivait un jour : « Vous vous êtes arrangé, Dieu sait comment ! pour conserver au milieu du monde toutes vos affections de famille et de foyer aussi pures et aussi vraies que vous les aviez en partant. C’est un trait de votre caractère que je regarde comme au-dessus de tous les éloges ; c’est une perfection qui ne va jamais seule, et je crois que vous finirez après tout par devenir un saint ou un ange. » Moore se maria en 1811, à l’âge de trente et un ans, avec miss Elisabeth Dyke, dont le petit nom Bessy va remplir désormais ses lettres et ses journaux. Il n’y a pas de détail sur son mariage dans sa correspondance ; une circonstance curieuse, c’est qu’il ne l’annonça que deux mois après à sa mère, lorsque déjà il avait présenté sa femme à ses plus intimes amis de Londres, à Rogers, à lady Donegal. Miss Dyke était une très belle personne qui se destinait, je crois, au théâtre. Moore paraît l’avoir tendrement aimée. Dès qu’il fut marié, il prit bravement son parti. À dater de ce jour, son existence se dessine nettement. Il quitte Londres, dont les dissipations ne lui permettraient pas de travailler et où ses ressources ne lui permettraient pas de vivre. Il fait un traité avec un éditeur de musique, Power, pour la publication des Mélodies irlandaises ; il s’engage à donner dans l’année, moyennant 500 livres sterling par an, six livraisons de douze mélodies ou chansons. Une fois les munitions assurées, il s’établit à la campagne et se renferme dans les douceurs de la vie intérieure et du travail littéraire.

Il loua pour 20 livres par an une petite maison, Kegworth-Cottage, dans le comté de Derby, près de Donington-Park, à une lieue de la riche bibliothèque de lord Moira, qui lui était si précieuse. Lord Moira et sa sœur, lady Loudon, comblèrent sa femme de prévenances et d’attentions. Le jour où Moore alla lui faire sa visite d’installation,