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écrit lui-même l’histoire de sa vie. L’Angleterre n’a pas, comme nous, une brillante littérature de mémoires. Le héros ne s’y fait pas son propre historien. Excepté Byron, dont l’œuvre posthume a été détruite par une pruderie que la morale justifie peut-être, mais dont la littérature se plaindra éternellement, je ne sais pas un homme marquant en Angleterre, depuis un siècle, qui ait écrit ses mémoires. Les Anglais suppléent à cette lacune par des publications d’une autre sorte. Il se trouve presque toujours auprès du mort illustre un parent, un ami, un admirateur qui rassemble ses papiers, ses journaux, sa correspondance, les coordonne, les relève de portraits et d’anecdotes en les encadrant dans un simple et scrupuleux récit biographique. Il va sans dire que ces compilations n’ont point le mordant, le pittoresque et l’unité de composition de nos mémoires. Cependant, comme elles sont tissues des reliques mêmes du mort, le caractère et la figure auxquels elles sont consacrées s’en dégagent toujours avec intérêt. Moins originales que des mémoires, elles sont plus sincères. Nous y perdons la satisfaction de nous amuser ou de nous attrister des indiscrétions et des vanités de l’homme qui se drape devant ses lecteurs d’outre-tombe ; mais la mémoire du mort y gagne d’arriver à nous pure des mensonges de l’orgueil et protégée par le respect pieux d’un ami. Si même par une bonne fortune un écrivain d’élite prend goût à un pareil travail, alors la compilation, comme M. Cousin vient de le montrer chez nous à propos de Mme de Longueville, prend le rang et l’éclat d’une œuvre achevée. On citerait une foule de publications de ce genre, curieuses et attachantes, produites par l’Angleterre dans ces dernières années : en politique, par exemple, les vies de ces deux libéraux accomplis, sir Samuel Romilly et sir James Mackintosh, et celles de deux tories remarquables, lord Malmesbury et lord Eldon ; en littérature, les mémoires de Walter Scott par Lockhart, ceux de Lamb par Talfourd, ceux de Southey. Ces recueils biographiques sont tellement entrés dans les mœurs anglaises, que les poètes et les hommes politiques pourvoient souvent eux-mêmes d’avance à cette partie de leurs obsèques qu’on pourrait appeler leurs funérailles littéraires, et désignent les exécuteurs testamentaires auxquels ils confient l’héritage de leur renommée. C’est ainsi qu’en mourant le grand Robert Peel léguait naguère une mission semblable à M. Goulburn et à sir James Graham.

En 1828, un des plus brillans poètes anglais de ce siècle, Thomas Moore, insérait dans son testament la disposition suivante : « Je confie aussi à mon précieux ami lord John Russell (j’ai obtenu de lui l’affectueuse promesse de me rendre ce service) la tâche de réviser tous les papiers, lettres, journaux que je pourrai laisser après moi,