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manquera d’un ami et ne craindra un ennemi tant qu’Henri Erskine vivra. »

Les opinions politiques du général Pierce sont fermes, mais elles sont comme sa personne, modérées, réservées et presque silencieuses. On ne peut pas lui reprocher l’ambition, car plusieurs fois il a refusé les postes les plus importans. Une convention démocratique l’avait désigné comme candidat pour la charge de gouverneur du New-Hampshire; il refusa. M. Polk, en 1846, lui fit offrir la charge d’attorney general des États-Unis dans son cabinet. Il déclina cette offre dans une lettre modeste où il s’excusait en termes dignes d’être rapportés : « Lorsque je résignais mon siège au sénat en 1842, je le fis avec la résolution de ne plus me séparer longtemps de ma famille, excepté dans le cas où ma patrie m’appellerait au service militaire. » L’occasion ne se fit pas attendre, car la guerre du Mexique ne tarda pas à éclater. Avant cette époque, et à l’occasion des questions soulevées par le Wilmot proviso, M. Pierce, toujours fidèle à ses opinions sur l’esclavage, empêcha le parti démocratique dans le New-Hampshire de suivre la direction que voulait lui imprimer son chef, M. Hale, qui dès lors passa dans le camp des free soilers.

Lorsque la guerre éclata, M. Pierce s’enrôla comme simple volontaire; mais il reçut bientôt la charge de colonel et peu de temps après celle de brigadier-général. Il partit donc à la tête de sa brigade, composée des régimens de l’extrême nord, de l’extrême ouest et de l’extrême sud. Rien ne ressemblait moins à des régimens réguliers que ceux qu’il avait à commander : tous ses soldats étaient comme lui, leur général, de simples citoyens, des marchands, des lawyers, des cultivateurs, des hommes de toutes les professions; en un mot, son corps d’armée était ce qu’on pourrait appeler une garde nationale enthousiaste et téméraire. M. Pierce s’embarqua avec son détachement, en mai 1847, à Newport sur le vaisseau le Képler, et débarqua à la Vera-Cruz, un mois environ après son départ des États-Unis, sans savoir au juste où était le gros de l’armée et où il devait aller le rejoindre. Nous avons le journal du général Pierce durant cette marche de la Vera-Cruz à Puebla, où était l’armée du général Scott. Cette marche à travers un désert brûlant, semé çà et là de petits villages, ressemble singulièrement aux marches de nos armées en Afrique. A chaque instant, on est sur le qui-vive. Un coup de feu part à l’improviste du coin d’une montagne; on lève la tête, un détachement de l’ennemi est là qui vous ajuste. La marche est contrariée perpétuellement par ces petits obstacles et ces petites barricades vivantes composées d’une dizaine d’hommes qu’il faut mettre en déroute. Les guérillas arrivent à l’improviste, coupent un pont sur lequel l’armée devait passer, surprennent un officier qui s’est imprudemment écarté de son armée, l’enlèvent et s’enfuient avec leur proie. Ajoutez à cela les inconvéniens du climat, les chaleurs excessives ou les pluies torrentielles qui arrêtent la marche, les maladies du pays qui mettent hors de service pour un temps officiers et soldats. Mais ce qui est plus intéressant pour nous que tous ces accidens, c’est la supériorité de la race anglo-américaine sur la race hispano-américaine, dont témoigne le journal du général Pierce. Cette supériorité se révèle à nous subitement, par un bon mot, par un acte d’énergie, par une résolution prise sans hésitation. Ainsi les Mexicains ont coupé un pont magnifique, ouvrage de leurs énergiques ancêtres, et l’armée du général Pierce est forcée de s’arrêter. « Ces gens ont détruit, dit un officier, ce qu’ils ne seront jamais capables de reconstruire. » Cependant