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la fortune sembla abandonner le parti démocratique : le pouvoir passa aux whigs après la présidence de Van Buren, et alors il ne fut question, parmi le parti triomphant, que de pousser à une réaction contre l’ensemble des mesures prises dans les douze années précédentes par le parti démocratique. Les whigs firent alors ce qu’ils ont fait encore très-impolitiquement en 1848 : ils destituèrent tous les fonctionnaires nommés par les deux derniers présidens. Lorsque cette question fut soulevée au sénat, Franklin Pierce prit la parole et s’éleva contre ces destitutions, accomplies au nom de la doctrine du salut public et de la nécessité d’état. Cette doctrine funeste, qui, sous prétexte de salut général, n’est qu’une arme de combat entre les mains du parti triomphant et l’instrument des vengeances et des représailles politiques, fut attaquée par lui avec une grande, une trop grande force peut-être. Dans ce discours, M. Pierce, résumant l’histoire du monde entier, montrait, par l’exemple de toutes les nations, que cette doctrine n’avait jamais produit qu’oppression et violence, et qu’elle était la doctrine de l’hypocrisie et de la ruse. Il le prouvait par l’exemple de l’inquisition, du massacre des Indiens par les Anglais, des exécutions silencieuses de Venise, de l’astucieuse politique de Strafford, de la terreur en France, etc. Nous ne pouvons nous empêcher de trouver ce résumé historique hors de propos ; ce discours est énergique, mais il manque de tact et dépasse le but. La doctrine du salut public et de la nécessité d’état a produit par tous pays des maux incalculables; mais qu’est-ce que les excès de l’inquisition et les crimes de la terreur ont et auront jamais de commun avec la destitution de quelques fonctionnaires? Tel est en général le défaut des Américains : ils citeront l’exemple de Jules César et des moyens qu’il employa pour asseoir sa dictature, si quelque général se permet la plus légère parole d’orgueil, ou les exécutions de Venise, si une vingtaine de fonctionnaires sont destitués. Il ne faut voir dans de telles aberrations et dans de telles exagérations que l’envie démesurée de faire quelque chose, et la tendance à placer par conséquent les faits les plus simples, les incidens les plus naturels au niveau des plus grands faits de l’histoire. Les Américains se procurent par ce moyen une illusion de quelques instans.

Ce discours fut un des derniers actes de la première période de sa vie politique, car en 1842 le général Pierce donna sa démission de sénateur et se retira dans ses foyers. La vie politique l’avait laissé pauvre. Il était maintenant marié, père de famille; il songea à se créer des ressources pour l’avenir. II renouvela ses tentatives au barreau, résolut de vaincre la mauvaise volonté de la fortune, et il y parvint par ses efforts. C’est à partir de cette époque seulement, 1842, que date sa véritable carrière d’avocat. Les qualités particulières qu’il a montrées dans ces fonctions sont encore des qualités de bon sens; mais elles sont au nombre des plus indispensables à un avocat. Ainsi il avait à un degré remarquable le sentiment du ridicule et l’art d’interroger les témoins. Il apportait aussi dans l’exercice de ses fonctions un grand sentiment d’équité, et se montrait toujours prêt, même aux dépens de ses intérêts, à prendre la cause des opprimés et des spoliés; aussi un grand respect environnait-il sa personne. « Les sentimens de respect et d’affection que les citoyens avaient pour le général Pierce, écrit un de ses collègues, avaient une grande ressemblance avec ce sentiment qui éclate dans la réponse de ce pauvre Écossais parlant d’Henri Erskine : « Jamais un pauvre homme en Écosse ne