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Nous ne voudrions pas que ces paroles fussent interprétées dans un mauvais sens. En faisant ressortir ces qualités d’homme d’affaires, qui distinguent essentiellement M. Pierce, nous ne croyons ni ne prétendons le diminuer. Les hommes d’état de l’Amérique jusqu’à présent, même les plus grands et les plus passionnés, Henri Clay et même Daniel Webster et Calhoun, n’ont guère au fond d’autres mérites que ceux-là. Seulement chez eux, ces qualités pratiques touchent presque au génie. Ils n’ont pas ce tempérament passionné, cet éclat, cette fougue qui caractérisent souvent les grands hommes politiques. Ce sont des esprits sages et calculateurs, très froids, même sous une certaine chaleur apparente; leur éloquence n’est souvent qu’extérieure et leur exaltation n’est qu’une exaltation de tête. En un mot, aucun Américain n’a eu jusqu’à présent rien de cette passion réelle, de ces qualités poétiques et brillantes, de cet éclat éblouissant (coruscation) qui distinguent un Bolingbroke, un Fox, un Sheridan, un Mirabeau. Est-ce tant pis ou tant mieux pour eux? Ceux qui connaissent les dangers de la vie politique, les crises et les malheurs que de telles natures peuvent engendrer dans les états, se chargeront de répondre.

Outre les qualités de l’homme d’état américain, M. Pierce en a d’autres, plus précieuses peut-être et qui ne sont pas toujours le partage des grands génies dont les puissantes facultés sont trop souvent pour les affections du cœur comme l’ombre du mancenillier. Il est capable de goûter les joies de la vie domestique, il est fait pour les joies du foyer et les douces relations, il est religieux et tolérant. M. Hawthorne nous raconte qu’après son retour de la campagne du Mexique, il traversa un jour la rue pour aller serrer la main à un paysan qui conduisait sa charrette, lequel avait été, dit-il, un des bons amis de son père. Nous acceptons cette anecdote telle qu’elle nous est racontée, et sans y chercher autre chose que l’expression d’une bonne et affectueuse nature. Il ne peut y avoir ici aucune arrière-pensée, aucun charlatanisme ni recherche de popularité, car jusqu’au dernier moment, comme on le sait, M. Pierce est resté étranger à toutes les brigues pour la présidence.

Sorti du collège et ayant à faire choix d’une procession, Franklin Pierce, malgré certaines vagues inclinations pour l’état militaire, se décida à suivre la carrière du barreau, et, après plusieurs années d’études et comme nous dirions de stage, il fut reçu en 1827 membre du barreau d’Hillsborough. Il débuta par un insuccès complet. C’est à cette occasion qu’il prononça un mot vraiment digne d’être rapporté, car il nous donne la clef de son caractère. Un de ses collègues avait cru devoir lui exprimer ses sentimens de condoléance et lui donner des encouragemens, pensant sans doute que ce premier insuccès avait dû abattre sa confiance en lui-même. « Je n’ai point besoin d’encourag«mens, répondit Franklin Pierce; je tenterai encore la fortune neuf cent quatre-vingt-dix-neuf fois, et si je ne réussis pas encore, je la tenterai pour la millième fois. » Tel est l’homme. Il sait attendre et il a confiance dans le temps. C’est toujours une excellente vertu, surtout chez un politique, que l’absence d’impatience et d’inquiétude fiévreuse; mais chez M. Franklin Pierce, chef des démocrates, parti naturellement impatient et inquiet, cette vertu est un gage de paix et de conciliation. Ses succès au barreau se firent attendre longtemps, mais enfin ils arrivèrent, et, lorsque le vote populaire est venu lui confier la suprême magistrature de l’Union, il était un des avocats les plus renommés du New-Hampshire. D’ailleurs la confiance de ses