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jalouse inquiétude avec laquelle les Américains surveillent les plus légères tentatives des Européens dans le Nouveau-Monde. Propagande républicaine non plus seulement par la parole, mais au besoin par le glaive, tel est maintenant le mot d’ordre de la politique américaine, et ce mot d’ordre, il faut s’y attendre, sera prononcé d’année en année avec plus d’énergie.

Or le général Franklin Pierce a été élu précisément pour donner une plus grande force d’impulsion à ces tendances. Il est le représentant du parti qui désire le plus violemment le triomphe de ces passions. Sa personne a pu être obscure jusqu’à présent, elle ne l’est plus. Son élection est un des incidens les plus importans parmi cette masse d’événemens que chaque jour voit éclore, et qui préparent (à quoi servirait-il de le cacher?) les explosions, les tempêtes et les guerres des prochaines années. Une question se présente, qui ne permet pas de lire avec indifférence le nouvel écrit de M. Hawthorne. Quel est le caractère de l’homme? Est-il plus sensé que passionné, plus véhément que ferme? Est-il faible, et cédera-t-il aisément à la pression que ne manquera pas d’exercer sur lui la fraction la plus fougueuse de son parti? Sera-t-il au contraire susceptible de résistance et plus soucieux du bien public que de sa popularité? Cette question reçoit, par le fait du biographe de M. Franklin Pierce, la solution la plus favorable. La modération, le bon sens, l’absence complète de vanité, la fermeté et la juste mesure dans les sentimens patriotiques les plus exaltés et les opinions politiques les plus extrêmes sont au nombre des qualités qu’on ne peut s’empêcher d’attribuer à M. Pierce. Tout en lui fait espérer que son avènement au pouvoir ne sera pas l’avènement d’une politique extérieure excessive et d’un patriotisme intempérant.

La vie du général Pierce est très simple, et ne prête guère aux développemens philosophiques. Ce n’est pas un homme de génie, ce n’est pas un héros, c’est un honnête homme, un homme de bon sens. Parlons donc de lui comme nous parlerions de quelqu’un de notre connaissance, d’un brave bourgeois, d’un magistrat intègre, d’un homme d’affaires probe et exact. Le général Pierce est un homme qui a toujours fait son devoir, ni plus, ni moins. Il est remarquable que les hommes de ce caractère ne prêtent pas au commentaire et échappent à l’analyse. Il faut faire moins que son devoir ou plus que son devoir pour conquérir un nom et réaliser le mot de Juvénal :

Ut pueris placeas et declamatio fias.

Le général Franklin Pierce est né en 1804, à Hillsborough, dans l’état du New-Hampshire, qui a été également la patrie de Daniel Webster et de plusieurs autres personnages importans de l’Union. Son père. Benjamin Pierce, originaire du Massachusets, portait comme son fils le titre de général, était comme lui attaché au parti démocratique, et était, de plus que lui, un démocrate de condition, c’est-à-dire un homme du peuple et un rude laboureur. Benjamin Pierce était, sous bien des rapports, un remarquable caractère. Il avait perdu ses parens de bonne heure, avait été élevé par un oncle avec une stricte économie et selon les règles sévères des anciens états du nord. La vie des Américains d’alors, pour le dire en passant, était bien différente de celle des Américains d’aujourd’hui : c’était une vie toute d’épargne et de privations, tout intérieure, renfermée, sans éclat, comme l’est ordinairement la vie des premiers fondateurs soit d’un état, soit simplement d’une bonne et solide maison.