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secret de ses délibérations intimes, et élevant tout à coup par le fait de sa situation un acte privé de sa volonté à la hauteur d’un événement politique.

Ce qui fait surtout du mariage du chef de l’état un événement politique, c’est le caractère même que l’empereur lui a donné dans le message par lequel il a communiqué sa décision aux bureaux du sénat et du corps législatif en même temps qu’au conseil d’état. Il semble au premier abord que le choix d’une épouse dans un rang social élevé sans doute, mais non dans un rang princier, dût ôter toute signification politique à ce mariage. C’est justement par là au contraire qu’il acquiert une signification. Il laisse tout son relief et sa portée à ce titre de parvenu sur le trône que l’empereur revendiquait l’autre jour dans son discours avec une insistance particulière, qui répondait peut-être simultanément à diverses préoccupations. Ce n’est pas que l’empereur en aucune circonstance ait décliné ce titre ; mais pour peu qu’on l’observe, la nature d’un pouvoir ne se détermine pas seulement par les circonstances intérieures du pays au sein duquel il s’élève : elle se détermine aussi surtout par la situation qu’il se fait, ou qui lui est faite au milieu des autres royautés. C’est particulièrement en face de l’Europe que l’empereur revendiquait ce caractère d’une souveraineté élue et nouvelle, marquant ainsi la différence entre les royautés traditionnelles et sa propre royauté, émanée du suffrage populaire, et achevant de caractériser cette différence par une alliance contractée en dehors des traditions monarchiques. D’ailleurs, on peut bien le dire, il y a toute l’éloquence des faits dans ces paroles par lesquelles l’empereur rappelait le mauvais sort réservé depuis soixante ans aux princesses étrangères qui ont approché du trône en France. Aucune d’elles, cela est vrai, n’a vu la fortune lui sourire depuis cette noble et infortunée reine Marie-Antoinette, qui ouvre ce douloureux cortège et qui mérite le premier rang par la grâce, par la beauté et par le malheur. Cela n’ôte rien sans doute à la glorieuse efficacité de ces vieilles alliances royales d’autrefois, à l’aide desquelles s’est formée l’unité française, non plus qu’à la convenance qu’il peut y avoir encore dans les unions de maison souveraine à maison souveraine. Cela peut prouver tristement du moins que la naissance, même unie à la beauté ou à la vertu, à l’intelligence ou à la bonté, ne suffit plus pour garantir la perpétuité d’un trône. Il faut évidemment d’autres conditions. Quoi qu’il en soit, parmi les traditions du premier empire, ce n’est point à l’exemple du chef de sa maison allant chercher une archiduchesse que l’empereur actuel s’est arrêté ; c’est la mémoire de l’impératrice Joséphine qui semble avoir plutôt dicté son choix. N’étant point issue de sang royal, la nouvelle impératrice n’est pas non plus d’origine française. C’est l’Espagne qui nous l’envoie. Ce n’est point d’ailleurs pour la première fois peut-être que le nom de Mlle de Montijo, comtesse de Teba, a été prononcé et jeté comme une énigme à la société parisienne au moment où il s’est trouvé tout à coup devenir le nom de la nouvelle souveraine des Français.

On ne saurait s’étonner beaucoup qu’en ces quelques jours laissés à peine à la curiosité publique, le mariage de l’empereur ait été l’objet de bien des commentaires ; il a déjà ses légendes de diverse sorte et son histoire fabuleuse. Quant à l’impératrice elle-même, on n’a point oublié sa généalogie. Quelques journaux se sont plu à lui donner le titre de duchesse, parce que probablement ils le croyaient plus relevé ; ils ne savaient pas qu’en Espagne ce n’est