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pour exporter des institutrices dans l’ouest. Elles y rendent les plus grands services et contribuent efficacement à la culture morale des rudes populations qui habitent ces contrées nouvelles. En même temps, ces personnes trouvent souvent à se marier avantageusement avec des colons qui ont commencé à s’enrichir. Ainsi cette institution profite à tout le monde, aux enfans, aux colons et aux institutrices.

Il y a deux mois, j’étais en Angleterre. Une solennité agricole m’avait appelé à une vingtaine de lieues de Londres. J’allais voir fonctionner une machine à moissonner. Un assez grand nombre de country gentlemen et de farmers s’étaient rassemblés dans le même but. Une scie horizontale mise en mouvement par le mouvement de la machine coupait avec une grande rapidité une quantité considérable de tiges de blé à la fois. Cette machine, traînée par un cheval, tournait autour de la pièce en abattant à chaque tour une bande d’épis large de plusieurs pieds. Un paysan placé sur la machine rejetait les épis coupés à mesure que l’action de la scie les y amoncelait. C’était la seule intervention de l’homme dans l’opération. Il me semble qu’il ne serait pas impossible de faire rejeter les javelles par la machine elle-même. Telle qu’elle est, elle eut le plus grand succès aux yeux des connaisseurs présens à l’expérience. Ce qui me rappelle aujourd’hui cette machine, c’est qu’on lisait sur un de ses côtés : Chicago. C’est en effet un habitant de cette ville, M. Mac-Cormick, qui en est l’inventeur. C’est des bords du lac Michigan, du voisinage de la prairie, de cette cité née d’hier, que provient une découverte qui excite l’intérêt des agronomes de l’Angleterre, et qui, dans plusieurs joutes aratoires, l’a emporté sur les machines rivales. Si la machine à moissonner de M. Mac-Cormick a eu du succès en Angleterre, où l’on aime en agriculture comme en toute chose le fini et la perfection, où la terre est chère, la culture très soignée, on peut penser qu’elle doit réussir encore bien mieux en Amérique, où la terre est pour rien, où il s’agit, non de très bien faire, mais de faire vite et beaucoup, où il importe peu qu’on laisse quelques épis, si l’on a rapidement dépouillé de sa moisson une plaine immense. Adieu donc les moissonneurs de Théocrite et de Virgile, et le patriarche Booz ordonnant à ses serviteurs de laisser des épis dans le sillon pour que Ruth puisse glaner après eux! Encore un grief de la poésie contre les machines qui lui ont fait tant de tort, mais que ses plaintes n’arrêteront pas, et qui elles-mêmes ont leur poésie, au moins leur grandeur, puisqu’elles représentent la puissance et le triomphe de l’homme sur la nature.

Dans ce pays lointain où l’on fait des machines que l’Europe admire, on ne sait pas faire des vaudevilles, car on joue ce soir un vaudeville de M. Scribe, dont l’esprit est si français et dont les succès