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squelette, car dès que l’église dédaigne les hommes de basse condition, elle se dessèche immédiatement. » Ce langage violent peut paraître exagéré; mais il faut bien croire ce qu’écrivait en 1838 M. Tuckerman sur l’état des églises de Boston. Cet homme respectable, frappé du grand nombre d’habitans qui n’étaient attachés, en raison de leur pauvreté, à aucune église, à aucune congrégation religieuse, après de consciencieuses recherches, était arrivé à ce résultat que sur douze mille familles il y en avait cinq mille six cent vingt-deux, à peu près la moitié, qui étaient dans ce cas. Il disait très bien : «Une église est une propriété en commandite (join-stock propery). Elle appartient à une corporation; elle est divisée en actions (shares) appelées bancs (pews), et ces bancs sont possédés comme une propriété foncière. Les relations du ministre avec la société religieuse dont il fait partie sont presque entièrement limitées à ceux qui paient ses services. » Il n’y a donc de bancs que pour les sociétaires qui sont propriétaires de l’église et paient le ministre. Il paraît cependant que les bancs qu’on ne trouve pas à louer sont mis à la disposition des pauvres. «Mais, dit M. Tuckerman, ces places humiliantes où l’on est admis à titre de pauvre, si elles sont acceptées en Angleterre, ne le sont pas en Amérique; personne ne veut s’y asseoir. » Et l’auteur fait ressortir tout ce qu’il y a de contradictoire entre l’importance que le plus pauvre citoyen a dans un pays démocratique, où par l’élection il concourt au gouvernement, et l’insulte qu’on lui fait subir en l’excluant de l’église, ou en lui imposant cette révoltante inégalité devant Dieu[1].

Ce qu’il y a de sûr, c’est que bien d’autres plaintes se sont fait entendre après celles de M. Tuckerman sur l’insuffisance des établissemens religieux en Amérique, malgré le zèle des particuliers et l’activité infatigable des méthodistes, dont les prêtres ambulans, véritables missionnaires, distribuent des livres et des journaux religieux en abondance. Cette distribution se fait par des ventes dont les bénéfices sont employés à la propagation des écrits que répand la société. On voit que c’est l’application, application au reste très désintéressée, de l’esprit commercial à la prédication de l’Évangile. Dans l’année qui vient de s’écouler, la société méthodiste a vendu pour deux millions de livres pieux.

Malgré les efforts ardens du zèle religieux, il ne saurait suffire

  1. Joseph Tuckerman, (the Religions principle and regulation of the ministry at large. L’auteur de cet écrit avait entrepris de fonder des chapelles pour ceux à qui leurs moyens pécuniaires ne permettaient pas de faire partie des associations religieuses existantes. Il avait établi un corps de ministres allant visiter les pauvres chez eux pour leur porter la prédication et la prière. Noble entreprise de secours religieux à domicile ! Je ne sais où elle en est maintenant.