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m’a beaucoup parlé du roi Louis-Philippe, à la mémoire duquel il est resté fort attaché. Il pense que la France a eu grand tort de quitter la monarchie constitutionnelle pour la république. Je dois dire que je n’ai pas rencontré un Américain qui ne fût de cet avis.

Autre différence de la démocratie américaine et de la démocratie française : je suis allé voir jouer l’Ouvrière (Factory girl), cette pièce qu’on jouait aussi à Lowell. L’héroïne, comme on peut le croire, a toutes les vertus; elle sacrifie son amour et jusqu’à sa réputation pour sauver la fille de sa bienfaitrice. Tout cela devait être ainsi; mais ce qui m’a paru plus digne de remarque, c’est que dans cette pièce, composée en l’honneur des travailleurs, où l’on se moque beaucoup des lords, des ladies, des comtes et des Français, il n’y a rien contre les riches.

En ce moment, on expose à Détroit une peinture dont l’auteur est un artiste américain; c’est un tableau de chevalet fort ordinaire. Rien ne saurait être plus divertissant que l’emphase avec laquelle le démonstrateur du chef-d’œuvre le faisait valoir. Il a dit positivement qu’en Europe parmi les tableaux anciens et modernes aucun ne pouvait être comparé à cette merveille. Hier soir, a-t-il ajouté, un gentleman ne pouvait croire que les figures ne fussent pas en relief, il a été obligé de s’en assurer en s’approchant. Cela est chaque jour arrivé la veille au soir, j’imagine. Cette admiration pour les effets les plus communs de l’art de peindre est puérile. Les habitans de Détroit, qui semble une ville fort civilisée, auraient dû faire taire ce charlatan. Pendant qu’il parlait, j’étais tenté d’ouvrir la fenêtre et de dire à l’assemblée : N’écoutez pas ces louanges absurdes d’un ouvrage médiocre. Il y a ici quelque chose de bien autrement merveilleux que les raccourcis et les illusions d’optique qu’on vous vante comme si vous étiez des enfans ou des sauvages; il y a une rue d’une demi-lieue, large comme les plus grandes rues de Paris et de Londres, bordée de magasins, éclairée au gaz, dans une ville de 20,000 âmes, qui en renfermait 3 ou 4,000 il y a vingt ans. En 1810, comme me le disait hier le général Cass, il y avait 20,000 habitans à l’ouest de Détroit. Aujourd’hui il y en a 5 millions. Voilà ce qu’on ne trouverait pas en Europe :

Excudant alii spirantia mollius æra.


13 octobre.

Aujourd’hui j’ai entendu un vrai sermon presbytérien. Le sujet était le déclin de la religion. Le prédicateur en a énuméré les causes :

1" La paresse, la négligence; il a tiré ses comparaisons de la vie commerciale. Si les jeunes gens préfèrent leurs chevaux, leur buggy, leur fusil à leur magasin (shop), les affaires iront mal; il en sera de même si on se relâche sur la grande affaire;