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résulte, je pense, de la rudesse même des mœurs américaines. Dans un pays où les formes de la politesse sont très simplifiées, si ce frein n’était établi, il s’ensuivrait nécessairement, dans les rapports avec les femmes, une intolérable grossièreté. C’est, je crois, ce qui a produit la galanterie au sein des mœurs violentes du moyen âge. Dans les sociétés plus fortes que polies, un instinct avertit de respecter la faiblesse pour ne pas en venir à l’écraser. Au moyen âge, il fallait adorer les femmes comme les chevaliers pour ne pas les opprimer comme les sauvages. Une alternative analogue se présentait dans la société des États-Unis, qui, surtout là où elle commençait à s’établir, avait aussi sa rudesse. Les peuples plus raffinés n’ont pas besoin d’être retenus par des prescriptions si précises : l’élégance naturelle des mœurs est chez eux une garantie que les femmes seront traitées avec les égards qui leur sont dus ; mais il faut avouer qu’en France on s’est souvent trop reposé sur notre réputation proverbiale de galanterie, et que nos compatriotes auraient parfois besoin qu’un garçon d’hôtel ou un conducteur de diligence les rappelât à l’observation d’un devoir qu’ils oublient trop souvent de remplir.


12 octobre. Détroit.

Détroit, autrefois le fort Détroit, porte un de ces noms français qu’on rencontre çà et là dans l’Amérique du Nord, qui rappellent la place que nous y avons tenue, et qui, hélas ! en sont l’unique vestige.

A Détroit vit le général Cass, un des chefs du parti démocrate, et dont on parle pour la présidence prochaine[1]. M. Cass a attaché son nom à un voyage d’exploration scientifique dans l’ouest; il possède des propriétés considérables dans l’état de Michigan. On sait qu’il a été longtemps ministre des États-Unis en France. Il aime notre pays, et a plaisir à en parler. Le parti démocrate américain est fort différent de ce qu’on appelle en France le parti" démocratique. Le général Cass est fier de son origine populaire, et a exprimé ce sentiment dans le sénat de Washington; mais il n’y a pas dans son genre de vie la moindre affectation de mœurs démocratiques. J’ai eu l’honneur de le voir à Détroit au sein de sa famille. La maison où il m’a reçu était modeste, et ne se distinguait en rien des habitations voisines; mais tout y portait l’empreinte d’une simplicité digne. M. Cass

  1. Toutes les prévisions de ce genre ont été trompées. Pendant mon séjour aux États-Unis, la question de la présidence occupait beaucoup les esprits. On parlait de M. Cass, de M. Douglas, de M. Houston parmi les démocrates, — de M. Webster, du général Scott parmi les whigs. On pensait généralement que les démocrates l’emporteraient, s’ils ne se divisaient pas. Ce parti a montré combien les Américains savent sacrifier leurs préférences personnelles au triomphe de leur opinion. D’un bout à l’autre de l’Union, les démocrates ont abandonné leurs candidats de prédilection pour se porter sur M. Pierce, dont je n’avais jamais entendu prononcer le nom. Les prétendans à la présidence qui appartenaient à ce parti se sont empressés de se désister en sa faveur, et il a été nommé à une immense majorité.