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qui part ce soir ? Je suis le gentleman qui doit le conduire. — J’ai vu annoncé dans un journal qu’une dame (a lady) désirait trouver une place de femme de chambre.

Je monte en bateau à vapeur tandis que le soleil se couche magnifique sur la nappe immense du lac Érié. En me réveillant le lendemain, je ne vois de rivage nulle part, je suis comme en pleine mer. Ce bateau à vapeur est à la lettre une maison flottante. Cette maison a plusieurs étages : au rez-de-chaussée sont entassés les émigrans qui se rendent dans l’ouest ; le premier est occupé par un grand et vaste salon où se trouvent des tables, des canapés, des fauteuils, des poêles, un piano. L’usage réserve aux dames une des extrémités de ce salon. Chacun a une petite chambre qui donne sur le lac et où l’on est chez soi comme dans un hôtel. La vie est la même, les heures des repas sont les mêmes. Quand sonne le tam-tam, on se met à table, après toutefois que les dames se sont assises ; jusque-là, les garçons défendent très positivement aux gentlemen de s’asseoir, et personne ne s’assied. Il n’y a pas de peuple qui obéisse plus volontiers que les Américains à l’autorité qu’ils acceptent. Jamais je n’ai vu de discussion entre les voyageurs et le capitaine ; quand un passager se conduit mal, le capitaine le dépose à terre, quelquefois à trente lieues d’une habitation, sans que personne demande de quel droit. En ce qui concerne cette déférence obligée pour les femmes, nul ne résiste aux garçons du bord, parce que les garçons du bord commandent au nom d’un sentiment qui est celui de la majorité. On sait de quels égards les femmes sont entourées aux États-Unis. Elles peuvent aller seules d’un bout de l’Union à l’autre sans que, parmi le grand nombre de voyageurs souvent assez grossiers avec lesquels elles sont en contact, il s’en trouve un seul qui ait la pensée de leur manquer de respect. Ce respect est poussé si loin qu’il s’étend, ce que je trouve un peu excessif, aux hommes qui ont une dame avec eux, who have a lady in charge. Dans ce cas, ils participent aux avantages accordés au beau sexe par la courtoisie américaine, et j’enrageais parfois de voir ces mortels privilégiés assis paisiblement, tandis que trois cents hommes moins heureux attendaient debout qu’une lady, qui très souvent n’était pas une dame et ne s’en faisait pas moins attendre, vînt prendre sa place. De même, quand on allait à la queue des billets, les femmes passaient toujours avant tout le monde, et avec elles les hommes qui les accompagnaient. J’ai vu parfois un Américain rusé aller chercher une vieille paysanne à l’étage des émigrans, et passer ainsi avant nous, parce qu’il avait a lady in charge. C’est un abus sans doute, mais c’est l’abus d’un principe que je ne pouvais m’empêcher d’honorer. Je ne crois point, comme un voyageur anglais, que le respect pour les femmes soit l’effet de leur rareté dans l’ouest, car il est général aux États-Unis. Je crois qu’il a une autre cause : il