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les tapis où reposait celle qu’elle venait de renvoyer. Cette chambre, dont elle avait chassé l’hôtesse, lui semblait une cage qu’elle avait ouverte. Que dirait à son retour le maître dont elle avait mis l’oiseau en liberté? Que dirait-elle surtout? C’était là ce qui la faisait rougir, et pourtant la satisfaction était dans ses yeux, elle n’avait point un seul mouvement de repentir. Son esprit était tout occupé moitié de pensées distinctes, moitié de confuses songeries, quand des coups de fusil, répétés par l’écho des montagnes, retentirent à ses oreilles : c’était Pontrailles qui rentrait, escorté par la turbulente fantasia des goums et des spahis. Il venait de se montrer le maître du bras, comme disent les Arabes; il avait brûlé quelques oliviers, tué quelques hommes, enfin servi de son mieux l’ordre énergique et la justice armée. Mme de Bresmes s’élança au-devant de lui, et le vit descendre de cheval. Le fait est qu’en ce moment il eût pu remuer même une imagination paresseuse et un cœur endormi. Dans son burnous blanc, tombant sur son épaule comme un manteau de templier, c’était la vivante apparition de ces guerroyeurs chrétiens qui ouvraient avec leurs épées les portes du paradis. Lorsqu’il aperçut Mme de Bresmes, une expression pleine d’ardente tendresse se répandit dans ses yeux, où brillait seule la noble et inhumaine joie du combat. Il se jeta précipitamment devant un spahi qui tenait à la main un de ces sacs que les soldats appellent des musettes, où les chevaux mangent l’orge en campagne. Il y avait sur cette musette des taches rouges, et je crois bien qu’elle pouvait renfermer quelques oreilles.

Mme de Bresmes eut un de ces mouvemens qu’on a reproduits quelquefois au théâtre, où ils sont toujours accueillis avec de violentes émotions. Elle se jeta dans les bras de Pontrailles. — Ah! dit Guillaume, aujourd’hui que j’aime mon sabre et que je vous aime ! — Toute son âme à ce pauvre garçon était dans ces mots-là, et il croyait avoir atteint le faîte de son bonheur en cette vie.

Après le dîner, par une nuit semblable à celle où l’amour s’était abattu sur eux, les deux cousins se promenaient sur la terrasse. Anne se dirigea vers le marabout dont elle avait été écartée la veille, et Guillaume éprouva de nouveau un trouble visible; mais celle qui était la maîtresse de toutes ses actions et de toutes ses pensées l’entraîna impérieusement vers le seuil, qu’il ne voulait point franchir. Arrivée à la porte. Mme de Bresmes força son amant à la suivre dans cet asile, devenu désert. Là, elle dit à Pontrailles : — Il y avait ici une captive que j’ai mise en liberté; mais au lieu de prendre ses chaînes, comme faisaient ceux qui autrefois allaient en Afrique délivrer les prisonniers, c’est vous que je veux mettre à sa place; je vous laisse dans votre marabout, et je m’échappe. Vous rappelez-vous l’histoire de Barberine? Vous avez mérité d’être enfermé avec une quenouille; tâchez d’en trouver une, vous filerez, et je vous apporterai de quoi manger.