Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/571

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à arceaux où l’on marche pieds nus; sous ce voile, il y a la chemise brodée, la veste étoilée de fleurs d’or et le pantalon couleur de la rose ou de l’orange. La Mauresque du marabout était sans voile; ses traits n’étaient cachés que par de longues nattes qui s’échappaient d’un bonnet de velours d’où pendait une branche de jasmin. C’eût été en définitive la plus poétique des apparitions, si je ne sais quoi n’eût imprimé à cette figure le caractère de la réalité, et même, faut-il le dire, d’une réalité assez triste. Cette péri, après tout, était une de ces Danaé dont les asiles s’ouvrent aux plus faibles gouttes de la pluie d’or. Aussi, depuis son visage jusqu’à sa parure, tout était marqué en elle de cette secrète flétrissure qui est le signe fatal auquel on reconnaît sous tous les cieux les prêtresses avouées du plaisir.

Mme de Bresmes resta pleine d’hésitation et de trouble sur le seuil de cette chambre où elle aurait voulu que son regard n’eût jamais pénétré; mais tout à coup la Mauresque l’aperçut, se leva, vint à elle, s’empara de sa main, et mit sur cette main un humble baiser. Les Africaines reconnaissent volontiers la supériorité des Européennes. Elles sentent des êtres traités autrement qu’elles dans ce monde et dans l’autre, qui sont estimés ici-bas plus que les chevaux, plus que la poudre, et dont les houris ne prendront point la place là-haut. Celle-là fit donc à Mme de Bresmes cette soumise caresse; puis elle lui dit dans un français assez pur : — Je n’ai pas encore vu le maître d’ici, ton mari sans doute. Je ne sais point pourquoi il m’a fait venir, puisque tu es auprès de lui, et qu’une seule femme remplit la maison d’un chrétien comme un seul figuier remplit la cour d’un Arabe.

Bientôt Mme de Bresmes eut tout compris; la Fatma ou la Kadoudja qu’elle avait sous les yeux était un caprice oriental de Pontrailles, qui avait trouvé trop profonde la retraite de son bordj; mais le jour même où l’amour africain entrait chez lui à des de mule, l’amour européen lui apparaissait à cheval, fier, charmant, victorieux. Il avait si bien négligé la pauvre Mauresque, que c’est d’peine si, sans la compassion du vieux kavadgi coupeur de têtes, elle ne serait point morte de faim. Mme de Bresmes courut chez elle, et revint tenant de l’or dans ses deux petites mains jointes, comme pour empêcher de s’enfuir l’eau puisée à une fontaine. La Mauresque lui avait dit que si elle avait de l’argent, elle trouverait le moyen de se faire ramener sur-le-champ à Alger. La mule qui l’avait portée et un Juif qui l’avait amenée l’attendaient, ne demandant pas mieux que de quitter le bordj de Pontrailles avec elle. Quand elle vit son absence achetée par une somme dix fois plus forte que celle qui payait d’habitude sa présence, elle éprouva une joie qu’elle ne chercha pas à contenir, et, après avoir embrassé les mains, les genoux, la robe de Mme de Bresmes, elle tint fidèlement sa promesse en disparaissant. Anne, quand elle fut seule, s’assit le cœur ému, le visage empourpré, sur