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Si d’après cela on allait se le figurer sous des traits d’une majesté épique, marchant dans la vie d’un pas solennel entre le silence et l’austérité, on se tromperait bien complètement. Pontrailles s’était engagé dans les hussards, et il était demeuré un hussard parfait. Si la sabretache ne pendait plus à ses talons, elle était restée dans son cœur. Quiconque a porté la sabretache comprendra ce que je veux dire. Loin de prétendre à la dignité arabe, il était dans son spencer de spahi comme Lasalle et Montbrun dans leur dolman, une saisissante image de l’audace, de la pétulance et de la légèreté françaises. Pontrailles dans son bordj, c’était l’alouette gauloise ayant suspendu son nid à une des cimes de l’Atlas. Maintenant cela veut-il dire qu’il fût étranger à toute méditation de l’esprit, à tout attendrissement du cœur? Non, assurément; il le prouvera bientôt.

Il avait un de ces caractères qui sont la grâce et l’originalité de notre nation. Il croyait à cette gaieté qui ne chasse du regard ni le feu de l’héroïsme, ni même les nuages de la rêverie; il tendait sa coupe à cette Hébé qui n’a tué ni le goût de la gloire chez les compagnons de François Ier et de Henri IV, ni l’intelligence de l’amour chez La Fontaine et chez Marot.

Au moment où commence ce récit, il y avait déjà près de deux années que le capitaine Pontrailles vivait dans son bordj avec une cinquantaine de spahis et ces cavaliers des goums dont le nombre s’accroît et diminue suivant les vicissitudes des guerres. Dans tout cet espace de temps, il n’avait été en contact avec la civilisation européenne que par quelques rares visites à Alger. Malgré la joyeuse résignation qui faisait le fond de son humeur, il était donc, le matin du jour qui devait donner un tour nouveau à toute sa vie, dans une disposition assez mélancolique. Il fumait une longue pipe sur sa terrasse à l’entrée de son marabout, assis sur un vieux canon où les armes d’Espagne à moitié effacées rappelaient les luttes des Tures et de Charles-Quint. Tout à coup il vit du côté opposé au pays kabyle, à l’entrée du Tell, un groupe où il crut distinguer deux costumes d’un aspect insolite dans le Jurjura. Il lui sembla qu’il voyait une amazone et un cavalier qui n’avaient rien ni du guerrier arabe ni du soldat français. En quelques instans, il était descendu dans son écurie, s’était jeté sur celui de ses chevaux qu’il aimait le mieux, un alezan doré marqué au front du signe qui porte bonheur, et avait abordé au galop les hôtes inattendus de ces montagnes. L’amazone et le cavalier que Pontrailles avait aperçus, c’étaient le comte et la comtesse de Bresmes.

Les touristes ont vraiment bien tort de ne pas affluer en Afrique, car ils reçoivent dans ce beau pays une hospitalité qu’on ne trouve nulle part ailleurs. L’Algérie est tellement habituée à être délaissée et méconnue, à se voir préférer cette Italie que les Anglais ont