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méritait d’être signalée aux lecteurs européens; M. Zeise l’a parfaitement traduite. Il est à peine nécessaire de dire que M. Andersen tient une large place dans cette exposition universelle des lettres; M. Andersen a en Allemagne une réputation beaucoup plus grande qu’en Danemark même. Son dernier ouvrage, En Suède (in Schweden), a trouvé immédiatement un traducteur; c’est un récit de voyage entremêlé de légendes, de songes, de fantaisies, et empreint de cette grâce enfantine qui a fait oublier la faiblesse de ses romans.

On voit quelle a été depuis dix-huit mois la vie intellectuelle de l’Allemagne; c’est vraiment une sorte de renaissance. Soit que les lettres, délivrées de la terreur démagogique, aient refleuri naturellement, soit que les royaumes de l’imagination aient offert un refuge toujours prêt aux espérances trompées, une phase heureuse est ouverte pour les travaux de l’esprit. C’est surtout, il faut l’avouer, une phase de transition; une période commence, et nous ne connaissons pas encore tous les élémens qui doivent en déterminer le caractère. Si je résume pourtant les directions variées que nous offre ce mouvement unanime, il me semble apercevoir trois symptômes essentiels : d’abord, c’est le sentiment d’une situation nouvelle et des devoirs qu’elle impose, c’est l’idée d’une régénération, d’une existence meilleure, idée indécise encore et exposée à des interprétations contraires, mais qui révèle un travail, intérieur dont on peut attendre l’issue avec confiance. — Saluons, en second lieu, l’inspiration chrétienne qui reparaît; conservée par un petit groupe d’esprits supérieurs, elle semblait exclue des lettres : la voilà qui sort des écoles théologiques, et qui reprend jusque dans les œuvres de la fantaisie la place souveraine qui lui est due. — Partout enfin où ne brillent pas des préoccupations si hautes, comment méconnaître ce goût de l’étude, ces recherches variées, principalement cette ingénieuse enquête dont notre XIXe siècle est l’objet? Comment ne pas apprécier la sympathie, poétique et morale tout ensemble, qui pousse tant d’écrivains de talent à dresser la carte complète des mœurs et des sentimens populaires? Féconde investigation à coup sûr, n’eût-elle d’autre résultat que d’apaiser les imaginations surexcitées et de transformer insensiblement toute une part de l’invention poétique. La conscience encore vague, mais universelle, d’une transformation nécessaire, un retour à des idées religieuses d’où l’on voudrait faire disparaître les divisions et les rancunes du passé, l’amour rajeuni des lettres et, même dans les œuvres les moins réussies, une certaine fleur d’inspiration studieuse, voilà ce que nous offre, dans le domaine immense du roman, ce réveil intellectuel de l’Allemagne. Laissons à ces semences fécondes le temps de se développer; elles porteront leurs fruits. Au point de vue spécialement littéraire, la dissémination croissante des talens est un fait qu’il est permis de regretter; qu’importe cependant? Puisque la démocratie est partout, ne soyons pas surpris que les lettres nous en reproduisent l’image. La chose importante, c’est de surveiller les écrivains et de leur rappeler sans cesse la dignité de leur tâche. Le XIXe siècle a reçu une mission laborieuse, une mission de paix et de réparation sociale qu’il poursuit péniblement à travers mille tentatives; je n’aurais pas pris plaisir à signaler ce rajeunissement littéraire de l’Allemagne, si je n’avais découvert dans les écoles qui se forment un vif instinct de nos devoirs et la constante préoccupation de nos destinées.


SAINT-RENE TAILLANDIER.