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Le romancier est donc souvent le collaborateur du touriste, souvent aussi ces deux personnages n’en font qu’un seul. Voici un des plus intrépides voyageurs de l’Allemagne, et l’Allemagne en a eu beaucoup dans ces dernières années; voici un homme qui a parcouru les deux Amériques et visité l’Océanie : il a enrichi la Gazette d’Augsbourg de lettres très originales datées de San-Francisco et d’Honolulu ; il a raconté ses courses hasardeuses, ses rencontres, ses fatigues, ses périls ; ce n’est point assez, et l’ambition lui est venue de peindre en des scènes dramatiques la vie des contrées sauvages qu’il avait traversées. Ce ne sont pas là des romans de fantaisie, ce sont des études sérieuses; que le roman soit bon ou mauvais, que l’invention soit vigoureuse ou médiocre, il y aura toujours dans de telles œuvres un intérêt qui les fera lire. M. Frédéric Gerstsecker a l’originalité particulière aux hommes qui ont beaucoup vu; il est vif, rapide, sensé, il est plein de franchise et de bonne humeur. Sous ce titre général : Scènes de la vie des forêts en Amérique, l’auteur a réuni deux œuvres distinctes; le premier de ces romans est consacré aux Régulateurs de l’Arkansas, le second aux Pirates du Mississipi. Jusqu’en 1836, l’Arkansas a été ce. qu’est aujourd’hui le Texas, le refuge des aventuriers et des coquins. Les colons honnêtes formèrent alliance, se donnèrent des chefs, instituèrent des régulateurs (c’est le nom consacré), et une sorte de république élémentaire s’organisa. La peinture de cette société primitive a tenté M. Gerstæcker. Déjà le grand romancier allemand-américain, l’auteur de Nathan, le peintre du meurtrier Bob, M. Charles Sealsfield, avait traité en maître des sujets analogues. M. Gerstsecker n’a pas la grandeur épique de Sealsfield, il ne sent pas comme lui la morale énergie de cette race de puritains; mais ses tableaux sont variés et instructifs. J’en dirai autant des Pirates du Mississipi; je vois là toute une partie, et non certes la moins curieuse, de l’histoire des États-Unis. Fenimore Cooper s’était surtout occupé de la lutte des pionniers contre les Indiens ; la lutte de ces mêmes pionniers contre les scélérats que la civilisation enfante est d’un intérêt tout autrement sérieux. C’est la conquête morale, bien supérieure à la conquête matérielle ; c’est véritablement la base sacrée du Nouveau-Monde. :

L’Amérique a toujours eu un singulier attrait pour les populations allemandes; il y a longtemps que les émigrations annuelles portent des milliers de familles dans les contrées de l’Union. Ces grands faits commencent à trou- ver leur expression dans la littérature. Une femme d’un esprit distingué, Mme Talvy, célèbre par la publication des poésies nationales des Serbes, vient aussi, comme M. Gerstæcker, de consigner dans un roman ses observations sur la société américaine. Cette fois, on le pense bien, ce sera la société des villes avec toutes les questions brûlantes qui la divisent, questions religieuses, questions politiques, débats plus passionnés que jamais des états du nord et des états à esclaves. Le roman de Mme Talvy est intitulé : Les Èmigrans (Die Auswanderer). Je n’aime pas la fable imaginée par l’auteur, je la trouve prétentieuse et commune; mais ce qu’on peut louer sans crainte, ce qui est vraiment digne du talent éprouvé de Mme Talvy, c’est la peinture des mœurs, le tableau de la Nouvelle-Angleterre et de ses sectes religieuses. A côté des romans de M. Gerstæckert de Mme Talvy de persiste à les considérer surtout comme des renseignemens historiques), je devrais placer les Esquisses de l’Amérique du Nord, par M. Kirsten, et les Lettres des États-Unis, par