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n’a pas d’autre but que de nous donner un fidèle tableau du moyen âge italien. La lutte de la république de Venise et de la république de Padoue, voilà le sujet de son récit. L’auteur a étudié avec soin les destinées particulières de ces petits états; il sait à merveille leurs vicissitudes, leurs révolutions intérieures, les rapports de la bourgeoisie et de la noblesse, les rivalités sanglantes de ville à ville et de famille à famille. Dans cette histoire confuse et pleine de péripéties horribles, il a choisi un tragique épisode, la catastrophe de Carrara au commencement du XVe siècle. Les Carrara, famille noble de Padoue, avaient repris peu à peu, après les agitations démocratiques des XIIIe et XIVe siècles, l’ascendant de leur antique maison. C’était le temps où les républiques faisaient place, dans l’Italie entière, à une foule de petites principautés. Les Carrara étaient sur le point de devenir les maîtres de Padoue. Capitaine de Padoue, soumis encore au podestat et au conseil de la cité, Francesco Carrara devenait le seul personnage important de l’état chaque fois que la guerre éclatait. Aussi l’audacieux capitaine ne se faisait-il pas faute de susciter sans cesse de nouveaux ennemis à la république. Venise, d’un autre côté, ne voyait pas sans appréhension une famille riche et puissante s’emparer de l’autorité dans une ville si voisine. Cette guerre que désirait Carrara, Venise la prit au sérieux, et elle jura d’anéantir cette fortune qui grandissait trop près du lion de Saint-Marc. Les ruses et les injustices de Carrara furent donc châtiées, non par le peuple padouan, dont il avait confisqué les franchises, mais par la jalousie implacable de l’oligarchie vénitienne. Au milieu de ces ambitions aux prises, il n’y a guère place pour un intérêt élevé. L’auteur s’est appliqué surtout à être vrai; il a reproduit toute une partie de l’existence du moyen âge avec une vigueur digne de ces temps farouches. Si l’on s’intéresse aux Carrara vers la fin du récit, c’est que la cruauté de Venise a passé toutes les bornes. Francesco Carrara et ses enfans deviennent des personnages tragiques lorsqu’ils représentent, en face du conseil des Dix, la chevaleresque audace de la vieille Italie. Le bourreau qui les décapite, le sbire qui les égorge, semble porter la main sur toute une race; on dirait l’astuce moderne exterminant les hommes d’une période héroïque. Et puis, si les mœurs étaient violentes, si les institutions étaient barbares, les hommes valaient mieux souvent que les institutions. La suave douceur de certaines figures du moyen âge, la grâce incomparable des arts et des productions mystiques de ces vieux siècles, ne tiennent-elles pas précisément à ce contraste? Plus la société était mauvaise, plus on se réfugiait avec bonheur dans les domaines de l’idéal. Il y a de ces rayons de soleil dans le drame dont Carrara est le héros. Terzo Carrara et son frère Guglielmo, l’un vaillant et chevaleresque, l’autre mélancolique et doux, sont deux créations charmantes. La femme de Terzo, Madonna Alda, est aussi dessinée avec une rare délicatesse. Si l’auteur, dans la peinture des crimes politiques du XVe siècle, s’est trop souvent abandonné à son imagination impétueuse, il a racheté ici bien des fautes. Somme toute, ce roman est une étude brillante et forte qui méritait d’être signalée.

Où sera cependant le Walter Scott de l’Allemagne? Puisque le roman, à en croire M. le baron d’Eichendorf, est la partie la plus expressive des lettres allemandes, il y a lieu de s’étonner qu’un genre cultivé avec tant de prédilection n’ait encore produit que des ébauches. Les premiers écrivains de ce pays s’y sont presque tous essayés; ils ont donné sans doute des peintures